Il est 6h. J’ouvre un œil, puis le
second. À 6h02, je suis totalement réveillé et
je sais que mes chances de me rendormir sont minces. Je reste un
moment allongé, essayant de prolonger ma nuit par un instant
de repos. À 7h, n’en pouvant plus, je saute du lit. Je tente
une sortie à l’extérieur du refuge pour satisfaire
aux besoins naturels. Midges or not ? Suspens… Je sors sans
protection. En quelques secondes, je me fais dévorer.
Hier soir, nous avons convenu d’un
réveil groupé à 8h pour un départ à
9h. J’ai donc une heure à meubler. Je fume une clope, je
vais chercher de l’eau à la rivière. Je commence à
préparer le petit déjeuner et disposant de temps, je
décide d’utiliser le réchaud que j’ai confectionné
chez moi, au mois de juillet. C’est la première fois que je
le teste en condition réelle. Je l’ai bien sûr déjà
essayé une fois auparavant, mais c’était dans un
contexte différent, avec pas mal de bois bien sec, à
portée de main. Dans l’optique de le faire fonctionner, je
pars chercher des munitions à l’extérieur du refuge.
Zoom sur la genèse du réchaud à
bois : n’étant pas spécialement adepte des
réchauds à gaz, je découvre à travers la
lecture de certains récits d’excursion, l’existence de ce
type d’équipement. Ce sont la plupart du temps des
assemblages faits maison. Chaque recette a l’air unique. Il existe
une multitude de prototypes. La plupart sont réalisés
avec des boîtes de conserve. L’égouttoir à
couverts IKEA remporte également un vif succès. Durant
le mois de juillet, je m’exerce donc à travailler sur la
conception de l’équipement. Je me renseigne, je lis,
j’étudie les schémas. Simple ou double foyer, appel
d’air, surélévation, organe d’alimentation,
ergonomie et pragmatisme, rendement, autant de paramètres à
prendre en compte. Au grand désespoir de ma femme, je me lance
dans la création d’un prototype, puis d’un second, d’un
3e, pour finir par réaliser le « réchaud ».
Je fais plusieurs tests avec les différents modèles.
J’associe ma fille à chacun des essais. Elle ne le sait pas
encore, mais elle est en train de vivre ses premières
expériences scientifiques. C’est cet aspect ludique qui m’a
donné goût aux sciences, ce côté analyse,
expérimentation, débrouille. Chaque expérience
est une aventure. Chaque expérience est unique, donc
novatrice. Chaque expérience rapproche un peu plus le domaine
de l’inconnu, de celui de l’acquis. J’espère lui
transmettre cet intérêt pour la chose. Elle apporte sa
contribution à chaque sollicitation. Elle va chercher le bois.
Elle m’aide à le disposer correctement. Elle observe, elle
contemple. Elle m’encourage et elle y croit. Ma femme, quant à
elle, est très sceptique : mon expérimentation est
vouée à l’échec. Cela renforce mon envie d’y
parvenir. Il y a le camp des expérimentateurs, des savants
fous : moi, ma fille et mon chien (avec ma fille, il y toujours
mon chien par extension) et de l’autre, celui des sceptiques :
ma douce épouse. Les grands scientifiques ont souvent été
contestés. Je suis contesté, donc je suis un grand
scientifique! Raisonnement scientifique… Bref, je finis par
réaliser le réchaud. Un prototype sorti tout droit de
mon imagination, un modèle unique, à simple foyer,
confectionné à partir d’une grosse boîte de
confit de canard. J’obtiens l’ébullition en 20 minutes
montre en main… Hourra ! La science a gagné, la science
a triomphé du scepticisme… Rien de tel que du canard pour
fêter ça !
Passons désormais à la
pratique : moment de vérité… J’allume le feu au
sein du réchaud. Miracle, il prend et il tient. Je fais
chauffer l’eau, puis je vais réveiller mon clan. Il est
7h50, j’ai 10 minutes d’avance. S’en suit la phase de réveil,
chacun vaque à ses premières propres occupations
matinales : manger, boire, ranger, nettoyer, se laver,
plaisanter, échanger, se concerter, méditer. À
mon grand désespoir, nous décampons à 10h et des
brouettes. Objectif des 9h non respecté. Et encore, nous
n’avions pas les tentes à démonter. L’inertie du
groupe, plus on est nombreux, plus elle est importante. C’est ainsi
fait. Un proverbe africain que j’ai entendu pour la première
fois il y a quelques mois illustre parfaitement la chose :
« Tout seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin ».
La deuxième partie de la maxime reste à vérifier.
L’avenir nous le dira. Mais la première partie n’en
demeure pas moins une vérité.
Nous marchons quelques minutes dans le
fond du vallon avant de rejoindre une zone boisée. Il s’agit
à nouveau d’une forêt boréale, comme hier. Elle
est toute aussi singulière que la première. Le chemin
que nous empruntons nous la fait contourner. Nous en traversons juste
une petite partie. Le sol est difficile : très humide,
très spongieux, très glissant. Apparemment, il aurait
servi de camp d’entraînement pour les commandos écossais
il y a quelques années. Tu m’étonnes… Les gars ont
dû sortir de là complètement enragés.
Quand tu as combattu dans la tourbe, j’imagine que tu peux
guerroyer sur tous les terrains. Il suffit de regarder les lutteuses
de Fort Boyard pour ne plus en douter. Nous passons au-dessus de la
forêt et continuons à monter à travers un vallon
verdoyant et rocheux. Plus nous grimpons, plus il devient minéral.
Vers 12h30, nous rejoignons un lac d’altitude. Nous croisons
quelques pêcheurs. Ils ont pris de belles truites. Nous
poursuivons notre chemin tout en contemplant ce somptueux paysage.
Quelques minutes plus tard, nous atteignons un second lac. Nous
amorçons ensuite notre descente vers le Loch Nevis. Cette
dernière débute par un dilemme… Doit-on descendre en
suivant le cours d’eau ou en le surplombant ? Longer la
rivière pourrait s’avérer dangereux. Certains
passages sont, semble-t-il, assez périlleux. Le topoguide
suggère d’emprunter le chemin en surélévation.
Mais où est-il ? Nous coupons tout droit à flanc
de colline pour le retrouver. Après quelques minutes, nous
finissons par le rejoindre. Loch Nevis, nous voilà !!!
Nous commençons notre descente.
Ce moment est mystique, mes yeux sont happés par le paysage. Qui pourrait y rester insensible, je me le demande. Je suis certain que ce panorama pourrait, à cet instant même, convertir bon nombre de non-initiés. Je suis comme hypnotisé par ce que je vois. Chaque micro pause est consacrée à la contemplation. J’essaye d’emprisonner la magnificence des paysages à travers quelques clichés d’un grand amateurisme. Elle n’est pas faite pour la captivité. Je ne la restituerai jamais totalement. C’est aussi bien. Ça me laisse le loisir de la décrire. Le loch Nevis : petite merveille qui se dessine à l’horizon. Sans cesse différent. À chaque pas, un nouvel angle s’offre à nous. Il nous attire comme un aimant. Est-ce la forme incurvée de la vallée ? Est-ce le cheminement du ruisseau ? Est-ce un jeu de contrastes et de couleurs ? Existe-t-il une explication scientifique à tout cela ? Je ne veux pas le savoir. L’intérêt du site réside principalement dans le mystère qui l’habite…
Nous poursuivons notre descente. Nous
avons faim. Enfin, pour ma part, j’ai faim. Mais le Loch sublime
les sucs gastriques. Il nous a envoutés. Nous rejoignons
finalement un refuge, au bord de la grève. Il est 14h30, mon
estomac est en éveil depuis 6h du matin. Je suis en proie à
une abominable fringale, je m’en rends compte une fois posé.
Je mange pour combler le trou béant qui me tiraille. Mes
compagnons sont rationnés, conséquence de leur choix au
supermarché. Un choix difficile, celui d’une tartine de
pain, par personne, par repas du midi. Je culpabilise un peu. Mais
que pouvais je y faire ? C’est certain, Mac Tarp ne peut être
rassasié. Je l’ai déjà lu dans son regard hier
soir au refuge : une satisfaction partagée, un relent de
frustration, de trop peu. Je connais cette sensation. Je garde une
poire pour la soif, mais propose une rondelle de chorizo à mes
coéquipiers…
Nous faisons le point sur la rando.
Cette seconde étape s’étend sur 25 km. Nous
marchons en terrain hostile et cela ralentit nos déplacements.
Nous sommes partis à 10h15 ce matin. L’objectif initial
semble difficile à atteindre, même pour les plus
optimistes d’entre nous. Plan B : se rabattre sur une ruine
située sur notre route et évoquée au sein du
topoguide comme un bon spot de bivouac.
Encore partagés entre ce que
nous envisagions à la base et ce plan B, nous décampons.
Nous nous éloignons du Loch et marchons dans les hautes
herbes. Qui dit hautes herbes, dit sol riche en nutriment et en eau.
La tourbe, dans toute sa splendeur… Le terrain est plat.
Mac Midges
ouvre la marche. Il se dirige dans un sens, puis oblique dans un
autre. Il veut rejoindre un pont, à proximité d’une
bâtisse. Nous nous sommes aventurés un peu trop loin.
Nous avons manifestement loupé l'ouvrage. Cette activité
digestive s’apparente davantage à un exercice pour bataillons
commandos qu’à une promenade dominicale. Nous devons
traverser la rivière. Mes chaussures achetées à
bon marché il y a plus de 9 ans sont totalement poreuses et
perméables. J’ai les pieds trempés depuis hier. Lassé
de cette marche plutôt pénible, j'attaque le cours d'eau
sans fioriture. Je ne suis pas Moïse. Sans surprise, la rivière
ne s’écarte pas sur mon passage. Mes godillots font le
plein.
Une fois l'obstacle passé, nous
nous accordons une courte pause. Mac Fire s’illustre à
travers une figure de style des plus surprenantes : The scottich
duck. Le popotin hors de l’eau, il immerge totalement la partie
supérieure de son anatomie. Est-ce une pratique militaire ?
Une manœuvre d’initié ?
J’ai oublié de le préciser…
Mac Fire est agent du ministère de la Défense. Mac Fire
est fusilier marin sur le Charles de Gaulle. Ce métier éveille
ma curiosité, comme il pourrait intriguer tout un
chacun. Peut-être est-il en mission secrète ? Une
mission d’espionnage, très certainement… Mais qui
pourrait donc faire l’objet d’une telle surveillance ? Je
fais le tour… Nic Zubrowka, implantée au Maroc et travaillant
pour l’institut français ? Pourrait-elle dissimuler une
activité suspecte ou l’exercice de mœurs parallèles ?
Non, il s’agit de ma sœur. C’est tout bonnement impossible…
Qui d’autre ? Je ne vois pas. Réfléchissons…
Mais oui… Mac Tarp, bien sûr… Pourquoi n’y ai-je pas
pensé plus tôt ? Ma première intuition était
bonne : Mac Tarp : Treillis militaire, armement lourd et
sophistiqué, équipement dernier cri, mental d’acier.
Une recrue d’élite de l’armée américaine,
tout simplement… Serai je sur le point de découvrir une
vérité, une sombre affaire de contre espionnage ?
Serai je sur le point de percer à jour un dossier sulfureux
aux enjeux probants ? J’en ai désormais la certitude.
The scottish duck. Il s’agit d’un message bien sûr. Un
message pour Mac Tarp. Un message du type : On t’a repéré
ou les carottes sont cuites. Je ne veux pas en savoir plus. Plus j’en
sais, plus je risque de faire l’objet de dommages collatéraux…
Nous enchaînons par une photo de groupe. Il est 16h30.
Cette marche tourbeuse nous a bien
ralentis. Il est clair que nous n’atteindrons pas Barrisdale Bay ce
soir. Nous continuons à marcher le long de la rivière.
Il fait beau, il fait bon, il fait même chaud. Jusqu’ici,
nous avons eu beaucoup de chance : a very good weather. Après
un peu moins de 30 min de marche, nous rejoignons une large dalle
plate qui borde un cours d’eau. Mac Tarp propose une baignade. Mac
Fire et Mac Tourb sont également intéressés. Nic
Zubrowka, Mac Midges et moi-même sommes un peu moins enthousiastes. Pour
ma part, je souhaite me rapprocher encore davantage de la ruine avant
de faire une nouvelle pause. Nous nous sommes déjà
arrêtés, il y a une petite demi-heure. La baignade est
tentante, mais c’est trop tôt. Nous décidons de nous
séparer en 2 équipes. Mac Tarp garde le topoguide qu’il
a acheté et moi celui que j’ai confectionné. Point de
ralliement : la ruine. Et si l’un des groupes se perd ?
En plaisantant, j’évoque les signaux de fumées. Nos
téléphones ne fonctionnent pas ici. Tant pis, au pire
on sifflera ou on criera. On se retrouvera forcément.
Nous abandonnons Mac Tarp, Mac Fire et
Mac Tourb à cette sympathique baignade. Nous poursuivons notre
route en trinôme. Mais qu’avons-nous fait ? Nous avons
laissé Mac Tarp et Mac Fire ensemble. Les deux agents secrets,
en mission l’un contre l’autre, sont réunis au bord d’un
cours d’eau, et ça, à peine quelques minutes après
que Mac Fire ait envoyé un signal codé à Mac
Tarp : the scottish duck… Mais oui, suis-je bête ?
The scottish duck : le message est clair. Il doit s’agir de quelque
chose du type : « Eh mec, provoque une baignade où
nous nous expliquerons en tête à tête ».
Pauvre Mac Tourb. Il risque de se retrouver coincé en plein
règlement de compte. Il est trop tard pour faire demi-tour…
Prions pour lui.
Mac Midges, Nic Zubrowka et moi
continuons notre périple. La combe est sympathique. Le
panorama est magnifique. La végétation est luxuriante,
très développée. La vallée est plus
encaissée que les précédentes. Les reliefs sont
plus imposants, plus prononcés, bien visibles. J’ai
l’impression de contempler des paysages qui ressemblent à
ceux du film « Jurassic Park » ou de la série
« Lost » : un côté jungle
sauvage et dangereuse…
Nic Zubrowka peine un peu dans l’ascension
que nous entamons. Mon topoguide mentionne un passage technique dans
les fougères. Nous ne tarderons pas à faire
connaissance. Le sentier nous fait déboucher sur un torrent.
Puis, plus rien… Nous ne trouvons pas de traces visibles de sa
continuité… Apparemment, nous ne devons pas traverser le
cours d’eau. Où aller alors ? Je fouine un peu. Là,
peut-être ? Un hypothétique chemin se
dessinerait-il dans les fougères ? Sans doute s’agit-il
de ce fameux passage technique ? Nous tentons le coup. La voie
n’est pas claire et la route est rude. Nous grimpons à flanc
de colline, à travers l'épais couvert végétal,
sur un terrain glissant et très pentu. Cela dure pendant 5
minutes. Ces dernières me semblent interminables. Chaque pas
est une négociation avec le sol. Chaque pas se traduit comme
une avancée, comme une victoire mathématique sur le
hasard. La probabilité d'occurrence d'une glissade imminente
est forte. Je m’accroche à chaque plant de fougères
que je croise, m’assurant ainsi une très légère
sécurité. Un faux pas, une prise qui lâche et je
me retrouve directement dans le torrent, 100m en contrebas… Étrange
exercice. Très différent de ceux que j’ai connus
jusqu’à présent. Soulagés, nous atteignons le
sommet de la petite colline. Au loin, nous voyons Mac Tarp, Mac Fire
et Mac Tourb. Nous leur faisons signe. Ils nous ont bien rattrapés.
Cette baignade a dû leur faire le plus grand bien. Ils ont à
peine 15 minutes de retard sur nous. Psychologiquement, nous
préférons continuer plutôt que les attendre.
À 18h passées de quelques
minutes, nous rejoignons une petite dépression, bordée
d’un cours d’eau, et longée de ce même côté
par une impressionnante falaise. Ce spot est super sympa. Il est un
peu trop ombragé, mais il a quelque chose. Une étroite
plage de sable garnit les rives du torrent. La clairière est
entourée de reliefs : tantôt immédiats et
prononcés, tantôt éloignés et immenses,
tantôt réguliers et à peine perceptibles. Les
photographies que je prends ne sont que les pâles copies d’un
fragment de ce site authentique.
Nous poursuivons. Désormais, la
ruine est proche : 20 minutes à tout casser. Nous sortons
de la dépression pour nous engager sur un plateau tourbeux et
rocheux. Le chemin disparaît par endroits, pour mieux
réapparaître plus loin. Il se dessine au fil de ses
envies capricieuses. Le temps se gâte. L’atmosphère
devient plus humide, le ciel se fait plus chargé. Nous
marchons encore et encore. Tiens, on dirait une ruine… Ah non,
c’est un bloc rocheux… Elle doit être un peu plus loin.
Elle est là, on dirait… « Ah non, c’est pas
ça », déclame Mac Midges avec l’intonation
du Père Fouras. Existe-t-elle vraiment ? L’aurions-nous
dépassé ? Nous avons quitté la clairière
il y a un peu plus d’une demi-heure. Nous aurions dû la
trouver en chemin. Sur ce plateau, elle devrait être facile à
repérer… Nous continuons. On dirait une grotte là
bas. C’est peut-être ça ? Non, ce n’en est pas
une. Et puis nous cherchons une ruine, rien d’autre. Bizarre, pas
de nouvelles des autres… Nous devrions les voir à l’horizon,
sur ce secteur à découvert. Nous sifflons, tentons de
les appeler. Rien… Il est 19h, c’est l’heure de l’apéro
pour les midges. Nous sommes au bord d’un cours d’eau. Nous
sommes en train de nous faire dévorer. Que faire ?
Continuer ainsi ou rebrousser chemin et retrouver nos compagnons ?
Les avis sont partagés. La pluie vient corser le débat.
Je ne suis pas d’accord avec mes coéquipiers. Je ne veux pas
rebrousser chemin. Certes, nous avons très certainement loupé
la ruine. Mais hors de question de repartir en sens inverse. Ils nous
rejoindront. Et puis, pourquoi se sont-ils arrêtés, aussi ? Et eux, de leur côté, ils n’ont pas vraiment
l’air de nous chercher éperdument. Pourquoi devrions-nous
faire demi-tour ? Tel que nous sommes partis, nous avons la
possibilité de regagner Barrisdale Bay dans la soirée.
J'en suis persuadé. Ils nous rejoindront demain matin. De
toute façon, il pleut. On ne peut pas rester là.
Jusqu’ici, nous n’avons pas croisé de terrains propices au
bivouac, en dehors de la dépression que nous avons dépassée
depuis 45 min. Elle est à 2 kms derrière nous.
Hors de question. Non, faire demi-tour maintenant, revenir sur nos
pas, ce n’est pas possible. Psychologiquement, je préfère
encore me taper 10 bornes sous la pluie et dans la pénombre
que de rebrousser chemin. Nic Zubrowka trouve un juste mot pour
qualifier mon attitude face à ce problème : la
fuite vers l’avant. Je sais dans le fond que j’ai tort et que je
devrais écouter la voix de la raison. Mais ça me gonfle
passablement. Cette pluie et les midges qui l’accompagnent viennent
pimenter le tout. Si j’avais su, je serais allé me baigner
avec les autres. Bullshit. Forcé et contraint, je me range à
l’avis de mes coéquipiers. Je pars en trombe dans le sens
opposé. Je vais vite, bien trop vite. Je me trale dans la
tourbe à plusieurs reprises. Rien à foutre, j’augmente
le rythme. C’est n’importe quoi… Mais ça me défoule.
Mac Midges et Nic Zubrowka sont loin derrière. Je suis seul
avec ma colère, ma boue, ma pluie, mes vêtements humides
et mes lunettes cassées pleines de buée…
Je rejoins finalement les autres au
niveau de la fameuse dépression. Je relate brièvement
notre mésaventure. Ils me montrent la ruine. Un petit tas de pierres
dans les hautes herbes. Nous sommes passés à côté,
sans l'apercevoir. Et quand bien même nous l’aurions vu,
l’aurions-nous, pour autant, assimilé au lieu de
bivouac évoqué ensemble ? Je me suis arrêté
dans cette clairière. Je l’ai contemplée. Je m’en
suis imprégné. Et pourtant, je n’en ai pas tout
saisi. La preuve.
La ruine ne paye pas de mine. Le
topoguide de Mac Tarp le précise : le randonneur peut
facilement passer à côté. Je suis encore bien
énervé par la tournure qu’ont pris les évènements.
Je ne suis donc pas des plus communicatif. Sans s’en rendre
vraiment compte, Mac Tarp m’agace légèrement en me
racontant combien la baignade au niveau du torrent leur fut agréable.
Je pense qu’il ne le fait pas exprès, mais je suis disposé
à tout écouter, sauf ça. Mac Tarp est toujours
plein de joie de vivre. C’est un éternel optimiste,
quelqu’un de profondément positif, un émerveillé
de la vie. J’aime les personnes qui ont ce tempérament. Mais
en cet instant, je ne suis pas tout à fait dans les mêmes
dispositions. Je suis moins réceptif.
Je monte ma tente à côté
de celle de Mac Tourb. Mac Fire et Mac Tarp se sont installés
dans des endroits un peu isolés. L’installation réussie
d’un tarp nécessite de réunir plusieurs critères.
En voici quelques-uns : il convient tout d’abord de rechercher
un ou deux supports en surélévation dans le but de
tendre la ficelle qui constitue l’ossature, la charpente de la
toile. En milieu naturel, il s’agit le plus souvent d’un arbre.
Il faut également trouver un terrain plus ou moins plat et
plus ou moins sec afin d’y disposer le nécessaire de
couchage. Cette dépression n’abrite pas d’arbres. Le sol
est recouvert de hautes herbes, il est humide et spongieux. Mac Tarp
et Mac Fire se sont éloignés de la clairière
pour monter leurs installations respectives. Mac Fire s’est logé
en surplomb, dans un recoin rocheux parsemé de quelques
arbustes. Il a pu y dresser son tarp. Mais le terrain n’est,
semble-t-il, pas idéal. Il projette de dormir plus ou moins en
équilibre sur un arbre. Ils sont fous ces militaires… Mac
Tarp, « homme goujon » pour les intimes, s’est
installé au centre du cours d'eau, sur une large dalle plate.
Choix tout aussi risqué : le lit d’une rivière
en montagne. Risque mesuré, je présume. Connaissant
désormais un peu Mac Tarp, je le sens capable d’avoir
contacté préalablement les services locaux de
prévision des crues. L’homme goujon a retrouvé son
habitat naturel…
Il me confie qu’il a également
cassé ses lunettes. Un coup de Mac Fire, c’est certain… Le
règlement de compte qui s’est déroulé au cours
de la baignade… Il les a réparé avec du scotch…
C’est bon à savoir pour moi qui, depuis 2 jours, galère
avec ma boule quies…
Alors que je monte ma tente, Nic
Zubrowka et Mac Midges nous rejoignent. Je ne suis pas très
loquace. Mac Fire, sur son promontoire perché, entreprend
d’allumer, en bordure de son tarp, un feu de camp. Il a l’air de
prendre. Installés au bord de la rivière, nous servons
d'apéro aux midges. Il nous faut également un foyer à
proximité de nos tentes. Sans flamme, sans fumée nous
risquons de nous faire dévorer toute la soirée, ce qui peut
rapidement devenir insoutenable.
Je pars à la recherche de bois
sec, de bon calibre. Je remonte le long du cours d'eau. J’ai repéré
quelques arbres morts un peu plus haut. Je me lance alors, à
corps perdu, dans la collecte de bois. J’arrache des troncs à
la montagne. Je fais contrepoids sur certains pour provoquer la
rupture. J'envoie de gros rondins sur le chemin. Je tente de les
éclater sur des blocs rocheux en leur faisant prendre de la
vitesse. Je m’acharne durant une demi-heure, sans interruption. Du
bois, toujours du bois. Je suis en sueur. Mon front perle à
grosses gouttes. J’essaye de trouver une technique afin de déplacer
progressivement tous les branchages que j’ai ramassés. Je
balance, un à un, les morceaux que je suis en mesure de
soulever en direction du campement. Je fais rouler ceux que je ne
peux lancer. C’est fastidieux. Je finis par ramener suffisamment de
combustible au bivouac pour nous assurer un feu capable de durer tout
au long de la soirée. Je laisse une bonne partie des rondins
non collectés, çà et là, à une
cinquantaine de mètres du camp. Je suis rincé. La
tension nerveuse est retombée.
Nic Zubrowka allume le feu avec le
petit bois sec qu’elle est allée chercher dans les rochers
près de chez Mac Fire. Elle conçoit, ensuite, avec la
participation de Mac Tarp, un réceptacle de pierres pour
constituer le foyer. Les galets sont disposés de manière
à limiter les remontées d’humidité par
capillarité. Une flamme apparaît, les midges
s’éloignent.
Nous buvons une anisette et commençons
à préparer le dîner. Nous mangeons un plat
composé de pâtes et de lentilles. Inspiré de tout sauf
d'une recette gastronomique, ce repas simple a au moins le mérite
de nous caler et de nous apporter les nutriments nécessaires à
la reconstitution de notre capital énergétique.
Progressivement, le brasier se meurt. Le bois est humide. Nous
essayons tour à tour de le raviver. C’est peine perdue. La
fumée qui s’échappe malgré tout du foyer
maintient les midges à distance. Ce soir, nous ne ferons pas
long feu. Après nous être acharné à tour
de rôle sur ce dernier, nous laissons tomber et allons
rejoindre nos duvets. Il est 22h30. Demain : réveil aux
aurores, tel fut le dernier accord collégial...
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