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JOUR 4 : God save the ruin…

Il est 6h. J’ouvre un œil, puis le second. À 6h02, je suis totalement réveillé et je sais que mes chances de me rendormir sont minces. Je reste un moment allongé, essayant de prolonger ma nuit par un instant de repos. À 7h, n’en pouvant plus, je saute du lit. Je tente une sortie à l’extérieur du refuge pour satisfaire aux besoins naturels. Midges or not ? Suspens… Je sors sans protection. En quelques secondes, je me fais dévorer.
 
Hier soir, nous avons convenu d’un réveil groupé à 8h pour un départ à 9h. J’ai donc une heure à meubler. Je fume une clope, je vais chercher de l’eau à la rivière. Je commence à préparer le petit déjeuner et disposant de temps, je décide d’utiliser le réchaud que j’ai confectionné chez moi, au mois de juillet. C’est la première fois que je le teste en condition réelle. Je l’ai bien sûr déjà essayé une fois auparavant, mais c’était dans un contexte différent, avec pas mal de bois bien sec, à portée de main. Dans l’optique de le faire fonctionner, je pars chercher des munitions à l’extérieur du refuge.

Zoom sur la genèse du réchaud à bois : n’étant pas spécialement adepte des réchauds à gaz, je découvre à travers la lecture de certains récits d’excursion, l’existence de ce type d’équipement. Ce sont la plupart du temps des assemblages faits maison. Chaque recette a l’air unique. Il existe une multitude de prototypes. La plupart sont réalisés avec des boîtes de conserve. L’égouttoir à couverts IKEA remporte également un vif succès. Durant le mois de juillet, je m’exerce donc à travailler sur la conception de l’équipement. Je me renseigne, je lis, j’étudie les schémas. Simple ou double foyer, appel d’air, surélévation, organe d’alimentation, ergonomie et pragmatisme, rendement, autant de paramètres à prendre en compte. Au grand désespoir de ma femme, je me lance dans la création d’un prototype, puis d’un second, d’un 3e, pour finir par réaliser le « réchaud ». Je fais plusieurs tests avec les différents modèles. J’associe ma fille à chacun des essais. Elle ne le sait pas encore, mais elle est en train de vivre ses premières expériences scientifiques. C’est cet aspect ludique qui m’a donné goût aux sciences, ce côté analyse, expérimentation, débrouille. Chaque expérience est une aventure. Chaque expérience est unique, donc novatrice. Chaque expérience rapproche un peu plus le domaine de l’inconnu, de celui de l’acquis. J’espère lui transmettre cet intérêt pour la chose. Elle apporte sa contribution à chaque sollicitation. Elle va chercher le bois. Elle m’aide à le disposer correctement. Elle observe, elle contemple. Elle m’encourage et elle y croit. Ma femme, quant à elle, est très sceptique : mon expérimentation est vouée à l’échec. Cela renforce mon envie d’y parvenir. Il y a le camp des expérimentateurs, des savants fous : moi, ma fille et mon chien (avec ma fille, il y toujours mon chien par extension) et de l’autre, celui des sceptiques : ma douce épouse. Les grands scientifiques ont souvent été contestés. Je suis contesté, donc je suis un grand scientifique! Raisonnement scientifique… Bref, je finis par réaliser le réchaud. Un prototype sorti tout droit de mon imagination, un modèle unique, à simple foyer, confectionné à partir d’une grosse boîte de confit de canard. J’obtiens l’ébullition en 20 minutes montre en main… Hourra ! La science a gagné, la science a triomphé du scepticisme… Rien de tel que du canard pour fêter ça !


Passons désormais à la pratique : moment de vérité… J’allume le feu au sein du réchaud. Miracle, il prend et il tient. Je fais chauffer l’eau, puis je vais réveiller mon clan. Il est 7h50, j’ai 10 minutes d’avance. S’en suit la phase de réveil, chacun vaque à ses premières propres occupations matinales : manger, boire, ranger, nettoyer, se laver, plaisanter, échanger, se concerter, méditer. À mon grand désespoir, nous décampons à 10h et des brouettes. Objectif des 9h non respecté. Et encore, nous n’avions pas les tentes à démonter. L’inertie du groupe, plus on est nombreux, plus elle est importante. C’est ainsi fait. Un proverbe africain que j’ai entendu pour la première fois il y a quelques mois illustre parfaitement la chose : « Tout seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin ». La deuxième partie de la maxime reste à vérifier. L’avenir nous le dira. Mais la première partie n’en demeure pas moins une vérité.


Nous marchons quelques minutes dans le fond du vallon avant de rejoindre une zone boisée. Il s’agit à nouveau d’une forêt boréale, comme hier. Elle est toute aussi singulière que la première. Le chemin que nous empruntons nous la fait contourner. Nous en traversons juste une petite partie. Le sol est difficile : très humide, très spongieux, très glissant. Apparemment, il aurait servi de camp d’entraînement pour les commandos écossais il y a quelques années. Tu m’étonnes… Les gars ont dû sortir de là complètement enragés. Quand tu as combattu dans la tourbe, j’imagine que tu peux guerroyer sur tous les terrains. Il suffit de regarder les lutteuses de Fort Boyard pour ne plus en douter. Nous passons au-dessus de la forêt et continuons à monter à travers un vallon verdoyant et rocheux. Plus nous grimpons, plus il devient minéral. Vers 12h30, nous rejoignons un lac d’altitude. Nous croisons quelques pêcheurs. Ils ont pris de belles truites. Nous poursuivons notre chemin tout en contemplant ce somptueux paysage. Quelques minutes plus tard, nous atteignons un second lac. Nous amorçons ensuite notre descente vers le Loch Nevis. Cette dernière débute par un dilemme… Doit-on descendre en suivant le cours d’eau ou en le surplombant ? Longer la rivière pourrait s’avérer dangereux. Certains passages sont, semble-t-il, assez périlleux. Le topoguide suggère d’emprunter le chemin en surélévation. Mais où est-il ? Nous coupons tout droit à flanc de colline pour le retrouver. Après quelques minutes, nous finissons par le rejoindre. Loch Nevis, nous voilà !!! Nous commençons notre descente.



Ce moment est mystique, mes yeux sont happés par le paysage. Qui pourrait y rester insensible, je me le demande. Je suis certain que ce panorama pourrait, à cet instant même, convertir bon nombre de non-initiés. Je suis comme hypnotisé par ce que je vois. Chaque micro pause est consacrée à la contemplation. J’essaye d’emprisonner la magnificence des paysages à travers quelques clichés d’un grand amateurisme. Elle n’est pas faite pour la captivité. Je ne la restituerai jamais totalement. C’est aussi bien. Ça me laisse le loisir de la décrire. Le loch Nevis : petite merveille qui se dessine à l’horizon. Sans cesse différent. À chaque pas, un nouvel angle s’offre à nous. Il nous attire comme un aimant. Est-ce la forme incurvée de la vallée ? Est-ce le cheminement du ruisseau ? Est-ce un jeu de contrastes et de couleurs  ? Existe-t-il une explication scientifique à tout cela ? Je ne veux pas le savoir. L’intérêt du site réside principalement dans le mystère qui l’habite…



Nous poursuivons notre descente. Nous avons faim. Enfin, pour ma part, j’ai faim. Mais le Loch sublime les sucs gastriques. Il nous a envoutés. Nous rejoignons finalement un refuge, au bord de la grève. Il est 14h30, mon estomac est en éveil depuis 6h du matin. Je suis en proie à une abominable fringale, je m’en rends compte une fois posé. Je mange pour combler le trou béant qui me tiraille. Mes compagnons sont rationnés, conséquence de leur choix au supermarché. Un choix difficile, celui d’une tartine de pain, par personne, par repas du midi. Je culpabilise un peu. Mais que pouvais je y faire ? C’est certain, Mac Tarp ne peut être rassasié. Je l’ai déjà lu dans son regard hier soir au refuge : une satisfaction partagée, un relent de frustration, de trop peu. Je connais cette sensation. Je garde une poire pour la soif, mais propose une rondelle de chorizo à mes coéquipiers…



Nous faisons le point sur la rando. Cette seconde étape s’étend sur 25 km. Nous marchons en terrain hostile et cela ralentit nos déplacements. Nous sommes partis à 10h15 ce matin. L’objectif initial semble difficile à atteindre, même pour les plus optimistes d’entre nous. Plan B : se rabattre sur une ruine située sur notre route et évoquée au sein du topoguide comme un bon spot de bivouac.

Encore partagés entre ce que nous envisagions à la base et ce plan B, nous décampons. Nous nous éloignons du Loch et marchons dans les hautes herbes. Qui dit hautes herbes, dit sol riche en nutriment et en eau. La tourbe, dans toute sa splendeur… Le terrain est plat. 



Mac Midges ouvre la marche. Il se dirige dans un sens, puis oblique dans un autre. Il veut rejoindre un pont, à proximité d’une bâtisse. Nous nous sommes aventurés un peu trop loin. Nous avons manifestement loupé l'ouvrage. Cette activité digestive s’apparente davantage à un exercice pour bataillons commandos qu’à une promenade dominicale. Nous devons traverser la rivière. Mes chaussures achetées à bon marché il y a plus de 9 ans sont totalement poreuses et perméables. J’ai les pieds trempés depuis hier. Lassé de cette marche plutôt pénible, j'attaque le cours d'eau sans fioriture. Je ne suis pas Moïse. Sans surprise, la rivière ne s’écarte pas sur mon passage. Mes godillots font le plein.


Une fois l'obstacle passé, nous nous accordons une courte pause. Mac Fire s’illustre à travers une figure de style des plus surprenantes : The scottich duck. Le popotin hors de l’eau, il immerge totalement la partie supérieure de son anatomie. Est-ce une pratique militaire ? Une manœuvre d’initié ?


J’ai oublié de le préciser… Mac Fire est agent du ministère de la Défense. Mac Fire est fusilier marin sur le Charles de Gaulle. Ce métier éveille ma curiosité, comme il pourrait intriguer tout un chacun. Peut-être est-il en mission secrète ? Une mission d’espionnage, très certainement… Mais qui pourrait donc faire l’objet d’une telle surveillance ? Je fais le tour… Nic Zubrowka, implantée au Maroc et travaillant pour l’institut français ? Pourrait-elle dissimuler une activité suspecte ou l’exercice de mœurs parallèles ? Non, il s’agit de ma sœur. C’est tout bonnement impossible… Qui d’autre ? Je ne vois pas. Réfléchissons… Mais oui… Mac Tarp, bien sûr… Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Ma première intuition était bonne : Mac Tarp : Treillis militaire, armement lourd et sophistiqué, équipement dernier cri, mental d’acier. Une recrue d’élite de l’armée américaine, tout simplement… Serai je sur le point de découvrir une vérité, une sombre affaire de contre espionnage ? Serai je sur le point de percer à jour un dossier sulfureux aux enjeux probants ? J’en ai désormais la certitude. The scottish duck. Il s’agit d’un message bien sûr. Un message pour Mac Tarp. Un message du type : On t’a repéré ou les carottes sont cuites. Je ne veux pas en savoir plus. Plus j’en sais, plus je risque de faire l’objet de dommages collatéraux… Nous enchaînons par une photo de groupe. Il est 16h30.



Cette marche tourbeuse nous a bien ralentis. Il est clair que nous n’atteindrons pas Barrisdale Bay ce soir. Nous continuons à marcher le long de la rivière. Il fait beau, il fait bon, il fait même chaud. Jusqu’ici, nous avons eu beaucoup de chance : a very good weather. Après un peu moins de 30 min de marche, nous rejoignons une large dalle plate qui borde un cours d’eau. Mac Tarp propose une baignade. Mac Fire et Mac Tourb sont également intéressés. Nic Zubrowka, Mac Midges et moi-même sommes un peu moins enthousiastes. Pour ma part, je souhaite me rapprocher encore davantage de la ruine avant de faire une nouvelle pause. Nous nous sommes déjà arrêtés, il y a une petite demi-heure. La baignade est tentante, mais c’est trop tôt. Nous décidons de nous séparer en 2 équipes. Mac Tarp garde le topoguide qu’il a acheté et moi celui que j’ai confectionné. Point de ralliement : la ruine. Et si l’un des groupes se perd ? En plaisantant, j’évoque les signaux de fumées. Nos téléphones ne fonctionnent pas ici. Tant pis, au pire on sifflera ou on criera. On se retrouvera forcément.

Nous abandonnons Mac Tarp, Mac Fire et Mac Tourb à cette sympathique baignade. Nous poursuivons notre route en trinôme. Mais qu’avons-nous fait ? Nous avons laissé Mac Tarp et Mac Fire ensemble. Les deux agents secrets, en mission l’un contre l’autre, sont réunis au bord d’un cours d’eau, et ça, à peine quelques minutes après que Mac Fire ait envoyé un signal codé à Mac Tarp : the scottish duck… Mais oui, suis-je bête ? The scottish duck : le message est clair. Il doit s’agir de quelque chose du type : « Eh mec, provoque une baignade où nous nous expliquerons en tête à tête ». Pauvre Mac Tourb. Il risque de se retrouver coincé en plein règlement de compte. Il est trop tard pour faire demi-tour… Prions pour lui.

Mac Midges, Nic Zubrowka et moi continuons notre périple. La combe est sympathique. Le panorama est magnifique. La végétation est luxuriante, très développée. La vallée est plus encaissée que les précédentes. Les reliefs sont plus imposants, plus prononcés, bien visibles. J’ai l’impression de contempler des paysages qui ressemblent à ceux du film « Jurassic Park » ou de la série « Lost » : un côté jungle sauvage et dangereuse… 



Nic Zubrowka peine un peu dans l’ascension que nous entamons. Mon topoguide mentionne un passage technique dans les fougères. Nous ne tarderons pas à faire connaissance. Le sentier nous fait déboucher sur un torrent. Puis, plus rien… Nous ne trouvons pas de traces visibles de sa continuité… Apparemment, nous ne devons pas traverser le cours d’eau. Où aller alors ? Je fouine un peu. Là, peut-être ? Un hypothétique chemin se dessinerait-il dans les fougères ? Sans doute s’agit-il de ce fameux passage technique ? Nous tentons le coup. La voie n’est pas claire et la route est rude. Nous grimpons à flanc de colline, à travers l'épais couvert végétal, sur un terrain glissant et très pentu. Cela dure pendant 5 minutes. Ces dernières me semblent interminables. Chaque pas est une négociation avec le sol. Chaque pas se traduit comme une avancée, comme une victoire mathématique sur le hasard. La probabilité d'occurrence d'une glissade imminente est forte. Je m’accroche à chaque plant de fougères que je croise, m’assurant ainsi une très légère sécurité. Un faux pas, une prise qui lâche et je me retrouve directement dans le torrent, 100m en contrebas… Étrange exercice. Très différent de ceux que j’ai connus jusqu’à présent. Soulagés, nous atteignons le sommet de la petite colline. Au loin, nous voyons Mac Tarp, Mac Fire et Mac Tourb. Nous leur faisons signe. Ils nous ont bien rattrapés. Cette baignade a dû leur faire le plus grand bien. Ils ont à peine 15 minutes de retard sur nous. Psychologiquement, nous préférons continuer plutôt que les attendre.

À 18h passées de quelques minutes, nous rejoignons une petite dépression, bordée d’un cours d’eau, et longée de ce même côté par une impressionnante falaise. Ce spot est super sympa. Il est un peu trop ombragé, mais il a quelque chose. Une étroite plage de sable garnit les rives du torrent. La clairière est entourée de reliefs : tantôt immédiats et prononcés, tantôt éloignés et immenses, tantôt réguliers et à peine perceptibles. Les photographies que je prends ne sont que les pâles copies d’un fragment de ce site authentique.



Nous poursuivons. Désormais, la ruine est proche : 20 minutes à tout casser. Nous sortons de la dépression pour nous engager sur un plateau tourbeux et rocheux. Le chemin disparaît par endroits, pour mieux réapparaître plus loin. Il se dessine au fil de ses envies capricieuses. Le temps se gâte. L’atmosphère devient plus humide, le ciel se fait plus chargé. Nous marchons encore et encore. Tiens, on dirait une ruine… Ah non, c’est un bloc rocheux… Elle doit être un peu plus loin. Elle est là, on dirait… « Ah non, c’est pas ça », déclame Mac Midges avec l’intonation du Père Fouras. Existe-t-elle vraiment ? L’aurions-nous dépassé ? Nous avons quitté la clairière il y a un peu plus d’une demi-heure. Nous aurions dû la trouver en chemin. Sur ce plateau, elle devrait être facile à repérer… Nous continuons. On dirait une grotte là bas. C’est peut-être ça ? Non, ce n’en est pas une. Et puis nous cherchons une ruine, rien d’autre. Bizarre, pas de nouvelles des autres… Nous devrions les voir à l’horizon, sur ce secteur à découvert. Nous sifflons, tentons de les appeler. Rien… Il est 19h, c’est l’heure de l’apéro pour les midges. Nous sommes au bord d’un cours d’eau. Nous sommes en train de nous faire dévorer. Que faire ? Continuer ainsi ou rebrousser chemin et retrouver nos compagnons ? Les avis sont partagés. La pluie vient corser le débat. Je ne suis pas d’accord avec mes coéquipiers. Je ne veux pas rebrousser chemin. Certes, nous avons très certainement loupé la ruine. Mais hors de question de repartir en sens inverse. Ils nous rejoindront. Et puis, pourquoi se sont-ils arrêtés, aussi ? Et eux, de leur côté, ils n’ont pas vraiment l’air de nous chercher éperdument. Pourquoi devrions-nous faire demi-tour ? Tel que nous sommes partis, nous avons la possibilité de regagner Barrisdale Bay dans la soirée. J'en suis persuadé. Ils nous rejoindront demain matin. De toute façon, il pleut. On ne peut pas rester là. Jusqu’ici, nous n’avons pas croisé de terrains propices au bivouac, en dehors de la dépression que nous avons dépassée depuis 45 min. Elle est à 2 kms derrière nous. Hors de question. Non, faire demi-tour maintenant, revenir sur nos pas, ce n’est pas possible. Psychologiquement, je préfère encore me taper 10 bornes sous la pluie et dans la pénombre que de rebrousser chemin. Nic Zubrowka trouve un juste mot pour qualifier mon attitude face à ce problème : la fuite vers l’avant. Je sais dans le fond que j’ai tort et que je devrais écouter la voix de la raison. Mais ça me gonfle passablement. Cette pluie et les midges qui l’accompagnent viennent pimenter le tout. Si j’avais su, je serais allé me baigner avec les autres. Bullshit. Forcé et contraint, je me range à l’avis de mes coéquipiers. Je pars en trombe dans le sens opposé. Je vais vite, bien trop vite. Je me trale dans la tourbe à plusieurs reprises. Rien à foutre, j’augmente le rythme. C’est n’importe quoi… Mais ça me défoule. Mac Midges et Nic Zubrowka sont loin derrière. Je suis seul avec ma colère, ma boue, ma pluie, mes vêtements humides et mes lunettes cassées pleines de buée…

Je rejoins finalement les autres au niveau de la fameuse dépression. Je relate brièvement notre mésaventure. Ils me montrent la ruine. Un petit tas de pierres dans les hautes herbes. Nous sommes passés à côté, sans l'apercevoir. Et quand bien même nous l’aurions vu, l’aurions-nous, pour autant, assimilé au lieu de bivouac évoqué ensemble ? Je me suis arrêté dans cette clairière. Je l’ai contemplée. Je m’en suis imprégné. Et pourtant, je n’en ai pas tout saisi. La preuve.


La ruine ne paye pas de mine. Le topoguide de Mac Tarp le précise : le randonneur peut facilement passer à côté. Je suis encore bien énervé par la tournure qu’ont pris les évènements. Je ne suis donc pas des plus communicatif. Sans s’en rendre vraiment compte, Mac Tarp m’agace légèrement en me racontant combien la baignade au niveau du torrent leur fut agréable. Je pense qu’il ne le fait pas exprès, mais je suis disposé à tout écouter, sauf ça. Mac Tarp est toujours plein de joie de vivre. C’est un éternel optimiste, quelqu’un de profondément positif, un émerveillé de la vie. J’aime les personnes qui ont ce tempérament. Mais en cet instant, je ne suis pas tout à fait dans les mêmes dispositions. Je suis moins réceptif.
 
Je monte ma tente à côté de celle de Mac Tourb. Mac Fire et Mac Tarp se sont installés dans des endroits un peu isolés. L’installation réussie d’un tarp nécessite de réunir plusieurs critères. En voici quelques-uns : il convient tout d’abord de rechercher un ou deux supports en surélévation dans le but de tendre la ficelle qui constitue l’ossature, la charpente de la toile. En milieu naturel, il s’agit le plus souvent d’un arbre. Il faut également trouver un terrain plus ou moins plat et plus ou moins sec afin d’y disposer le nécessaire de couchage. Cette dépression n’abrite pas d’arbres. Le sol est recouvert de hautes herbes, il est humide et spongieux. Mac Tarp et Mac Fire se sont éloignés de la clairière pour monter leurs installations respectives. Mac Fire s’est logé en surplomb, dans un recoin rocheux parsemé de quelques arbustes. Il a pu y dresser son tarp. Mais le terrain n’est, semble-t-il, pas idéal. Il projette de dormir plus ou moins en équilibre sur un arbre. Ils sont fous ces militaires… Mac Tarp, « homme goujon » pour les intimes, s’est installé au centre du cours d'eau, sur une large dalle plate. Choix tout aussi risqué : le lit d’une rivière en montagne. Risque mesuré, je présume. Connaissant désormais un peu Mac Tarp, je le sens capable d’avoir contacté préalablement les services locaux de prévision des crues. L’homme goujon a retrouvé son habitat naturel…



Il me confie qu’il a également cassé ses lunettes. Un coup de Mac Fire, c’est certain… Le règlement de compte qui s’est déroulé au cours de la baignade… Il les a réparé avec du scotch… C’est bon à savoir pour moi qui, depuis 2 jours, galère avec ma boule quies…

Alors que je monte ma tente, Nic Zubrowka et Mac Midges nous rejoignent. Je ne suis pas très loquace. Mac Fire, sur son promontoire perché, entreprend d’allumer, en bordure de son tarp, un feu de camp. Il a l’air de prendre. Installés au bord de la rivière, nous servons d'apéro aux midges. Il nous faut également un foyer à proximité de nos tentes. Sans flamme, sans fumée nous risquons de nous faire dévorer toute la soirée, ce qui peut rapidement devenir insoutenable.

Je pars à la recherche de bois sec, de bon calibre. Je remonte le long du cours d'eau. J’ai repéré quelques arbres morts un peu plus haut. Je me lance alors, à corps perdu, dans la collecte de bois. J’arrache des troncs à la montagne. Je fais contrepoids sur certains pour provoquer la rupture. J'envoie de gros rondins sur le chemin. Je tente de les éclater sur des blocs rocheux en leur faisant prendre de la vitesse. Je m’acharne durant une demi-heure, sans interruption. Du bois, toujours du bois. Je suis en sueur. Mon front perle à grosses gouttes. J’essaye de trouver une technique afin de déplacer progressivement tous les branchages que j’ai ramassés. Je balance, un à un, les morceaux que je suis en mesure de soulever en direction du campement. Je fais rouler ceux que je ne peux lancer. C’est fastidieux. Je finis par ramener suffisamment de combustible au bivouac pour nous assurer un feu capable de durer tout au long de la soirée. Je laisse une bonne partie des rondins non collectés, çà et là, à une cinquantaine de mètres du camp. Je suis rincé. La tension nerveuse est retombée.

Nic Zubrowka allume le feu avec le petit bois sec qu’elle est allée chercher dans les rochers près de chez Mac Fire. Elle conçoit, ensuite, avec la participation de Mac Tarp, un réceptacle de pierres pour constituer le foyer. Les galets sont disposés de manière à limiter les remontées d’humidité par capillarité. Une flamme apparaît, les midges s’éloignent.

Nous buvons une anisette et commençons à préparer le dîner. Nous mangeons un plat composé de pâtes et de lentilles. Inspiré de tout sauf d'une recette gastronomique, ce repas simple a au moins le mérite de nous caler et de nous apporter les nutriments nécessaires à la reconstitution de notre capital énergétique. Progressivement, le brasier se meurt. Le bois est humide. Nous essayons tour à tour de le raviver. C’est peine perdue. La fumée qui s’échappe malgré tout du foyer maintient les midges à distance. Ce soir, nous ne ferons pas long feu. Après nous être acharné à tour de rôle sur ce dernier, nous laissons tomber et allons rejoindre nos duvets. Il est 22h30. Demain : réveil aux aurores, tel fut le dernier accord collégial...



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