TITRE

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JOUR 10

C’est le jour J… Celui qu’on retient… Celui qui s'efface, quand tu me remplaces ???

C’est le grand jour : El cirquo del la solitudo… Cirque, solitude : Deux mots qui se marient si mal… Concept antinomique. Un clown, seul, triste : ça passe, finalement. Il le faudra…

Le réveil est appréciable. Notre hôte s’avère réellement sympathique, en fin de compte. Nous discutons brièvement. Il nous propose même un café.



Deux nouvelles : une mauvaise, une un peu moins mauvaise. Commençons par la mauvaise : il est 9h, il nous faut compter un peu plus de 4h30 de marche, soit presque 2km de dénivelé positif pour atteindre le cirque de la solitude. La moins mauvaise : nous sommes seulement à 2 h du refuge que nous aurions dû rejoindre la veille.

Nous débutons notre ascension, l’air de rien, tranquillement. Nous passons par une piste forestière jonchée de cochons sauvages. Ils mangent, ils bronzent. Ils mangent, ils bronzent… La vie est parfois tellement simple. Serai-je soudainement en train d’envier l'existence d’un cochon sauvage ?


Nous poursuivons notre route. Nous croisons 2 ânes sagement plantés à l’orée d’un sous-bois. Ce sont des porteurs. Ils sont équipés d’un système de sangles auxquelles sont attachés des paniers. Les robustes, les courageux, les têtus… L’idée d'une alliance intéressée avec ces derniers nous traverse l'esprit durant un instant. Juste quelques sacs à dos. Ils n’y verraient que du feu…


À chacun son labeur. Nous les laissons tranquillement se reposer et rejoignons la forêt en longeant la rivière. Ces ânes sont les pièces maîtresses d’un mécanisme bien rodé. Ils alimentent en vivres le refuge situé à 1h30 de marche dans la montagne. Celui que nous devons rapidement atteindre.
Quelques minutes plus tard, nous tombons sur une bergerie tenue par des Corses. Ils sont sympas, nous discutons. Le campement est à 1h. On se désaltère. Ils nous parlent des randonneurs disparus. Étrange : un banquier suisse, un septuagénaire américain souffrant d’hypertension… Ils évoquent des opérations secrètes, des visites incongrues, des complots, des soupçons, des interrogatoires… Tout cela est bien corse. Nous les saluons et continuons notre marche.



Il fait chaud. Le soleil tape de toutes ses forces. Il est notre premier adversaire, sans aucun doute. La végétation a déserté ce flanc de montagne. Nous zigzaguons entre les zones d’ombres. Nous plongeons vers ces dernières, les réflexes aiguisés, nos muscles perpétuant mécaniquement les enchaînements binaires dictés par la volonté d'un cerveau rompu à la manœuvre.



Nous finissons par atteindre le refuge, non sans mal. Il est là, moche et immuable. Nous croisons les premiers arrivants de l’étape nord-sud : un petit lot de super GR. Il est 12h, ils ont accompli leur marche journalière… Pourquoi pas ? Ce n’est pas ce que je recherche. Terminer tôt, pour vivre en société : autant partir en camping à la Baule. Passer son après-midi à discuter de l’étape avec de parfaits inconnus, en lavant ses chaussettes, tandis qu’il demeure tant de belles choses à faire et à voir hors de ces enclos pour randonneurs civilisés. Bref, à chacun sa conception de la vie, du moment qu'on l’apprécie.

Au refuge, un écriteau nous fait réagir. En gros, ça dit à peu près ça : « Pour information : l’eau issue de nos canalisations n’est pas volontairement chaude, contrairement à ce que les rumeurs prétendent. Il ne s’agit pas d’une manœuvre destinée à vous faire consommer des boissons froides au refuge. L’eau provient d’un ruisseau situé à 800 m. Elle est acheminée jusqu’à vous via une canalisation en surface qui se trouve naturellement chauffée par le soleil. » Ça en dit long sur l’historique des relations randonneurs/gardien. Nous devons nous procurer du pain pour manger ce midi. Pain de mie au prix fort, c’est tout ce qu’il reste. Ludo en achète plusieurs sachets.

Nous continuons l’ascension… Toujours plus haut, toujours plus chaud, toujours plus minéral, toujours plus pentu, toujours plus dur… Progression interminable. Claqués, nous nous offrons une halte au bout de 4h de marche. C’est volontaire. Plus que 30 minutes de grimpette pour atteindre l’entrée sud du cirque. En s’arrêtant ainsi un peu avant ce dernier, nous ne le gravirons pas à froid. Nos muscles auront eu le temps de reprendre leurs bonnes vieilles habitudes…

Nous mangeons en plein cagnard. Le pain est sec, archi-sec, telles les chaussettes de l’archiduchesse. Et pour égayer cela ? Une boîte de sardine, évidemment. L’ambiance est silencieuse. Est-ce le soleil de plomb ? Est-ce la proximité du cirque ? Recueillement, c’est le maître mot. Nous suons à grosse goutte. C’est insoutenable, mais nous marquons tout de même la pause.


Ça y est nous y sommes : Mélange de peur, d’excitation, d’émerveillement, de fatigue et de curiosité…
Nous ne le savons pas encore, mais nous serons parmi les derniers randonneurs à l’arpenter, à avoir eu cette opportunité. Le cirque se verra fermé en raison de sa forte dangerosité à partir du mois de juin 2015, et ce, jusqu'à nouvel ordre…

Majestueux, froid, immuablement impressionnant ; il se découvre à nous. Non, je ne parle pas du membre viril de Vince, mais bien du Cirque de la Solitude… Nous sommes face à lui : la célébrité du GR… Celui face auquel on s’incline.



Quelque chose me plaît là-dedans : La noblesse des lieux. Il a certainement été plus souvent photographié qu’une star éphémère de la téléréalité. Ça fait plaisir. Le rapprochement est avilissant pour ce monument. Il perdure tandis que l'idole de la téléréalité décline. Il fera de tout temps l’objet de la même admiration. Célébrité s’inscrivant sur échelle temporelle longue, celle des temps géologiques… Cirque de la solitude : 1 - Loana, Nabilla : 0. C’était joué d’avance. Il faut comparer ce qui est comparable.

Nous le dévalons, nous l’arpentons, nous le surmontons, nous l’escaladons. Nous en faisons notre hôte. Nous sommes ses parasites. Il nous accepte. Il tolère que sa solitude soit perturbée et nous permet le voyage.




Je n’en mène pas large. Les dalles plates sont de grandes tailles. Elles sont glissantes et n’offrent que peu de prises. La pente est forte. Nous sommes seuls. Il est 15h. L'heure n'est pas à l’affluence. Le randonneur lambda le tente dans la matinée, tôt de préférence. Nous ne croisons que 3 personnes durant ces 2h30 de traversée. L'unique autre témoignage environnant de la vie est la brume qui nous enveloppe, qui nappe nos gestes, berce nos actions. Oui, elle est vivante. Bien vivante, présente, dynamique. Elle nous ceinture, s’accroche aux sommets, aux arêtes montagneuses. Elle est là, douce et ouateuse. Le silence est profond, majestueux et de circonstance. Chacun de nos mouvements est calculé, mesuré, anticipé. Prouesse de concentration ininterrompue, self contrôle, contemplation éphémère et efforts musculaires : ces quelques mots résument assez bien ma perception du moment.

 

Je ne peux m’occuper que de moi-même. Ce passage s'apparente à de la torture psychologique. Je ne l’apprécie pas vraiment. J’emmagasine de fortes doses d’adrénaline. Il faut en finir rapidement. Je n’ai qu’une hâte : que cela prenne fin. Laisser le cirque seul, face à ses propres réflexions, à son propre jeu, à son propre jugement, à sa propre solitude.

Je termine son ascension en premier. C'est presque certain maintenant : je reverrai ma femme et ma fille à l'issue de ce trek. Je vis une intense satisfaction au sommet du col humide, froid, rocailleux et inhospitalier. Je suis sain et sauf : Just do it. C’est bête, mais je crois ne m’être que très rarement senti aussi heureux d’être en vie. Ai-je besoin de faire cela, pour me rendre compte à quel point la vie est magnifique ? Après réflexion, je pense que oui.



Par chance, mes partenaires survivent également au cirque. Nous le quittons. Nous ne le laissons pas vraiment à sa solitude. Il demeure en compagnie de la brume qui le convoite. Nous prenons la direction du refuge. Nous avons terminé le GR. Veni, vidi, Vicci.

En descendant, nous croisons un Allemand. Il a plus de soixante ans. Le pauvre homme est complètement déshydraté. Il tient des propos qui semblent légèrement incohérents. Nous lui déconseillons de traverser le cirque. Ce n’est pas raisonnable. Il nous confie qu'il n'a pas ce projet. Il compte s’arrêter au lac d’altitude pour se désaltérer et dresser son campement. Son sort nous inquiète. Mais que faire, si ce n’est lui souhaiter prudence, courage et hydratation ? Nous continuons notre route et rejoignons le refuge 2h plus tard.

Ce dernier est établi à proximité d’une station de ski. C’est particulièrement moche, comme d’accoutumé lorsque un équipement vient ternir un site, sans la moindre intégration paysagère. Nous prenons les emplacements restants. Ils sont remarquablement pourris. Nous nous en félicitons presque. Nous demeurons constants dans nos choix et orientations. Qui dit station de ski, dit bar, resto, épicerie, tutti quanti…

On fait péter l’apéro. C’est la fête au village. Je suis sale, je pue et déguste un pastis sous le plus beau des couchers de soleil. Après avoir savouré ce moment de détente, nous allons manger dans les cuisines du refuge. Nous rencontrons un groupe de jeunes qui vient du nord. On fait les boss, les tueurs, les inébranlables. On ne s’en rend presque même pas compte... Nous passons pour les sages, les durs, les aguerris. Nous le sommes en réalité bien moins que nous ne le laissons paraître, mais il nous plaît de jouer ce jeu. On se cale un plat de pâtes à s’en faire péter la sous-ventrière… La nuit sera bonne…


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