C’est
le jour J… Celui qu’on retient… Celui qui s'efface, quand tu me
remplaces ???
C’est le grand jour : El cirquo del la solitudo… Cirque, solitude : Deux mots qui se marient si mal… Concept antinomique. Un clown, seul, triste : ça passe, finalement. Il le faudra…
C’est le grand jour : El cirquo del la solitudo… Cirque, solitude : Deux mots qui se marient si mal… Concept antinomique. Un clown, seul, triste : ça passe, finalement. Il le faudra…
Le
réveil est appréciable. Notre hôte s’avère
réellement sympathique, en fin de compte. Nous discutons
brièvement. Il nous propose même un café.
Deux
nouvelles : une mauvaise, une un peu moins mauvaise. Commençons
par la mauvaise : il est 9h, il nous faut compter un peu plus de
4h30 de marche, soit presque 2km de dénivelé positif
pour atteindre le cirque de la solitude. La moins mauvaise :
nous sommes seulement à 2 h du refuge que nous aurions dû
rejoindre la veille.
Nous
débutons notre ascension, l’air de rien, tranquillement.
Nous passons par une piste forestière jonchée de
cochons sauvages. Ils mangent, ils bronzent. Ils mangent, ils
bronzent… La vie est parfois tellement simple. Serai-je
soudainement en train d’envier l'existence d’un cochon sauvage ?
Nous
poursuivons notre route. Nous croisons 2 ânes sagement plantés
à l’orée d’un sous-bois. Ce sont des porteurs. Ils
sont équipés d’un système de sangles
auxquelles sont attachés des paniers. Les robustes, les
courageux, les têtus… L’idée d'une alliance
intéressée avec ces derniers nous traverse l'esprit
durant un instant. Juste quelques sacs à dos. Ils n’y
verraient que du feu…
À
chacun son labeur. Nous les laissons tranquillement se reposer et
rejoignons la forêt en longeant la rivière. Ces ânes
sont les pièces maîtresses d’un mécanisme bien
rodé. Ils alimentent en vivres le refuge situé à
1h30 de marche dans la montagne. Celui que nous devons rapidement
atteindre.
Quelques
minutes plus tard, nous tombons sur une bergerie tenue par des
Corses. Ils sont sympas, nous discutons. Le campement est à
1h. On se désaltère. Ils nous parlent des randonneurs
disparus. Étrange : un banquier suisse, un septuagénaire
américain souffrant d’hypertension… Ils évoquent
des opérations secrètes, des visites incongrues, des
complots, des soupçons, des interrogatoires… Tout cela est
bien corse. Nous les saluons et continuons notre marche.
Il
fait chaud. Le soleil tape de toutes ses forces. Il est notre premier
adversaire, sans aucun doute. La végétation a déserté
ce flanc de montagne. Nous zigzaguons entre les zones d’ombres.
Nous plongeons vers ces dernières, les réflexes
aiguisés, nos muscles perpétuant mécaniquement
les enchaînements binaires dictés par la volonté
d'un cerveau rompu à la manœuvre.
Nous
finissons par atteindre le refuge, non sans mal. Il est là,
moche et immuable. Nous croisons les premiers arrivants de l’étape
nord-sud : un petit lot de super GR. Il est 12h, ils ont
accompli leur marche journalière… Pourquoi pas ? Ce
n’est pas ce que je recherche. Terminer tôt, pour vivre en
société : autant partir en camping à la
Baule. Passer son après-midi à discuter de l’étape
avec de parfaits inconnus, en lavant ses chaussettes, tandis qu’il
demeure tant de belles choses à faire et à voir hors de
ces enclos pour randonneurs civilisés. Bref, à chacun
sa conception de la vie, du moment qu'on l’apprécie.
Au
refuge, un écriteau nous fait réagir. En gros, ça
dit à peu près ça : « Pour
information : l’eau issue de nos canalisations n’est pas
volontairement chaude, contrairement à ce que les rumeurs
prétendent. Il ne s’agit pas d’une manœuvre destinée
à vous faire consommer des boissons froides au refuge. L’eau
provient d’un ruisseau situé à 800 m. Elle est
acheminée jusqu’à vous via une canalisation en
surface qui se trouve naturellement chauffée par le soleil. »
Ça en dit long sur l’historique des relations
randonneurs/gardien. Nous devons nous procurer du pain pour manger ce
midi. Pain de mie au prix fort, c’est tout ce qu’il reste. Ludo
en achète plusieurs sachets.
Nous
continuons l’ascension… Toujours plus haut, toujours plus chaud,
toujours plus minéral, toujours plus pentu, toujours plus dur…
Progression interminable. Claqués, nous nous offrons une halte
au bout de 4h de marche. C’est volontaire. Plus que 30 minutes de
grimpette pour atteindre l’entrée sud du cirque. En
s’arrêtant ainsi un peu avant ce dernier, nous ne le
gravirons pas à froid. Nos muscles auront eu le temps de
reprendre leurs bonnes vieilles habitudes…
Nous
mangeons en plein cagnard. Le pain est sec, archi-sec, telles les
chaussettes de l’archiduchesse. Et pour égayer cela ?
Une boîte de sardine, évidemment. L’ambiance est
silencieuse. Est-ce le soleil de plomb ? Est-ce la proximité
du cirque ? Recueillement, c’est le maître mot. Nous
suons à grosse goutte. C’est insoutenable, mais nous
marquons tout de même la pause.
Ça
y est nous y sommes : Mélange de peur, d’excitation,
d’émerveillement, de fatigue et de curiosité…
Nous
ne le savons pas encore, mais nous serons parmi les derniers
randonneurs à l’arpenter, à avoir eu cette
opportunité. Le cirque se verra fermé en raison de sa
forte dangerosité à partir du mois de juin 2015, et ce,
jusqu'à nouvel ordre…
Majestueux,
froid, immuablement impressionnant ; il se découvre à
nous. Non, je ne parle pas du membre viril de Vince, mais bien du
Cirque de la Solitude… Nous sommes face à lui : la
célébrité du GR… Celui face auquel on
s’incline.
Quelque
chose me plaît là-dedans : La noblesse des lieux.
Il a certainement été plus souvent photographié
qu’une star éphémère de la
téléréalité. Ça
fait plaisir. Le rapprochement est avilissant pour ce monument. Il
perdure tandis que l'idole de la téléréalité
décline. Il fera de tout temps l’objet de la même
admiration. Célébrité s’inscrivant sur échelle
temporelle longue, celle des temps géologiques… Cirque de la
solitude : 1 - Loana, Nabilla : 0. C’était
joué d’avance. Il faut comparer ce qui est comparable.
Nous
le dévalons, nous l’arpentons, nous le surmontons, nous
l’escaladons. Nous en faisons notre hôte. Nous sommes ses
parasites. Il nous accepte. Il tolère que sa solitude soit
perturbée et nous permet le voyage.
Je
n’en mène pas large. Les dalles plates sont de grandes
tailles. Elles sont glissantes et n’offrent que peu de prises. La
pente est forte. Nous sommes seuls. Il est 15h. L'heure n'est pas à
l’affluence. Le randonneur lambda le tente dans la matinée,
tôt de préférence. Nous ne croisons que 3
personnes durant ces 2h30 de traversée. L'unique autre
témoignage environnant de la vie est la brume qui nous
enveloppe, qui nappe nos gestes, berce nos actions. Oui, elle est
vivante. Bien vivante, présente, dynamique. Elle nous
ceinture, s’accroche aux sommets, aux arêtes montagneuses.
Elle est là, douce et ouateuse. Le silence est profond,
majestueux et de circonstance. Chacun de nos mouvements est calculé,
mesuré, anticipé. Prouesse de concentration
ininterrompue, self contrôle, contemplation éphémère
et efforts musculaires : ces quelques mots résument assez
bien ma perception du moment.
Je ne
peux m’occuper que de moi-même. Ce passage s'apparente à
de la torture psychologique. Je ne l’apprécie pas vraiment.
J’emmagasine de fortes doses d’adrénaline. Il faut en
finir rapidement. Je n’ai qu’une hâte : que cela
prenne fin. Laisser le cirque seul, face à ses propres
réflexions, à son propre jeu, à son propre
jugement, à sa propre solitude.
Je
termine son ascension en premier. C'est presque certain maintenant :
je reverrai ma femme et ma fille à l'issue de ce trek. Je vis
une intense satisfaction au sommet du col humide, froid, rocailleux
et inhospitalier. Je suis sain et sauf : Just do it. C’est
bête, mais je crois ne m’être que très rarement
senti aussi heureux d’être en vie. Ai-je besoin de faire
cela, pour me rendre compte à quel point la vie est
magnifique ? Après réflexion, je pense que oui.
Par
chance, mes partenaires survivent également au cirque. Nous le
quittons. Nous ne le laissons pas vraiment à sa solitude. Il
demeure en compagnie de la brume qui le convoite. Nous prenons la
direction du refuge. Nous avons terminé le GR. Veni, vidi,
Vicci.
En
descendant, nous croisons un Allemand. Il a plus de soixante ans. Le
pauvre homme est complètement déshydraté. Il
tient des propos qui semblent légèrement incohérents.
Nous lui déconseillons de traverser le cirque. Ce n’est pas
raisonnable. Il nous confie qu'il n'a pas ce projet. Il compte
s’arrêter au lac d’altitude pour se désaltérer
et dresser son campement. Son sort nous inquiète. Mais que
faire, si ce n’est lui souhaiter prudence, courage et hydratation ?
Nous continuons notre route et rejoignons le refuge 2h plus tard.
Ce
dernier est établi à proximité d’une station
de ski. C’est particulièrement moche, comme d’accoutumé
lorsque un équipement vient ternir un site, sans la moindre
intégration paysagère. Nous prenons les emplacements
restants. Ils sont remarquablement pourris. Nous nous en félicitons
presque. Nous demeurons constants dans nos choix et orientations. Qui
dit station de ski, dit bar, resto, épicerie, tutti quanti…
On
fait péter l’apéro. C’est la fête au village.
Je suis sale, je
pue et déguste
un pastis sous le plus beau des couchers de soleil. Après
avoir savouré ce moment de détente, nous allons manger
dans les cuisines du refuge. Nous rencontrons un groupe de jeunes qui
vient du nord. On fait les boss, les tueurs, les inébranlables.
On ne s’en rend presque même pas compte... Nous passons pour
les sages, les durs, les aguerris. Nous le sommes en réalité
bien moins que nous ne le laissons paraître, mais il nous plaît
de jouer ce jeu. On se cale un plat de pâtes à s’en
faire péter la sous-ventrière… La nuit sera bonne…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire