2
jours, 3 étapes : c’est terre-à-terre. C’est
aussi l'unique moyen dont nous disposons pour atteindre notre
objectif. Après débat et réflexion, nous
prévoyons finalement de ne faire qu’une seule étape
aujourd’hui. Ces deux derniers jours ont été
particulièrement chargés en efforts et en émotions.
Avant
de lever le camp, alors que nous terminons de ranger nos affaires,
Virginie se rend compte qu’elle a égaré son
téléphone. Elle le cherche partout. Elle ressort ses
effets personnels, vide son sac, revient sur ses pas… Elle remue
ciel et mer. Elle interroge les uns et les autres… Impossible de
remettre la main dessus. Elle laissera finalement un mot au refuge
avec mon numéro en espérant que je sois recontacté
rapidement.
Nous
démarrons cette journée par une longue grimpette
matinale. Je pars devant et atteins le sommet vers 10h30. L’ascension
s’avère particulièrement difficile, il fait une
chaleur accablante et une bonne partie du parcours ressemble
davantage à de l’escalade qu’à de la randonnée.
Je suis suivi de près par Ludo. Par nature, il avance
rapidement. Il reste souvent discret, à l’arrière du
groupe, pour fermer la marche et encourager les derniers. Mais
parfois, il se laisse aller à sa propre vitesse de croisière,
et malgré les ampoules, il explose tout…
Je
prends une photo de Ludo. Il est notre photographe officiel. Je lui
ai confié mon appareil en début de séjour. Ludo
immortalise pour nous de nombreux moments, mais en définitive
il n’apparaît presque jamais sur les photos. Alors, ce
cliché, on le lui doit bien… Il prend la pose, tel un
alpiniste victorieux, les pieds fermement ancrés au sommet du
col.
Un peu
avant midi, nous descendons vers un petit lac en empruntant un goulet
fortement chargé en blocs rocheux. La marche est fatigante et
relativement dangereuse. Nous rejoignons les berges salvatrices après
avoir traversé un bosquet dense et épineux. Nous
offrons à nos pieds un bain glacé des plus délicieux.
Il fait chaud, mais nous apprécions cette pause déjeuner
à l’ombre des quelques arbres qui colonisent ce sol pauvre
et sec. A la fin du repas, Vince nous fait part de ses problèmes
gastriques. Nous imaginons son épitaphe : « Ci
gît, Vincent le mélancolique, vaillant, mais décédé
dans d’atroces souffrances, n’ayant pu se soulager d’une
épouvantable et abominable colique ». Nous nous
plaisons au bord du lac, mais il nous reste encore quelques
kilomètres à parcourir avant d’atteindre le refuge de
Carrozu. Je m’apprête à partir alors que Virginie me
fait croire à une seconde pause-café… L’humeur est
aux farces et quolibets… Et dire que dans 48h, tout ça sera
derrière nous…
Nous
descendons de la montagne. Le paysage est minéral, les reliefs
sont très découpés et stratifiés. Il y a
certainement de belles déductions géologiques à
faire de ses panoramas, mais je suis dans l’incapacité de
les produire. Tout cela est bien loin derrière moi désormais.
J’apprécie alors le site pour ce qu’il est, sans chercher
à l’interpréter scientifiquement. Ça me
suffit.
Lors
de notre descente, nous croisons un étrange personnage. Il
gravit la montagne en tongs, un bâton de bambou à la
main. Ses pieds sont sales, cassés et en sang… Mystique
illuminé ? Défi incongru ? Évasion
d’asile ? Guinness book ? Bizutage de longue haleine ?
Gage exécuté pour pari perdu ? L’Histoire
ne le révélera
pas… Le challenge, appliqué à l'intégralité
du GR, semble impossible à relever. La simple vision de ses
orteils me fait froid dans le dos. Il n’en est qu’à la
troisième étape. Je ne donne pas cher de sa peau… Le
cirque de la solitude le tolèrera-t-il ?
À
environ 1h30 de marche du refuge, nous arrêtons sur une large
dalle surplombant une vallée encaissée creusée
par un indomptable torrent. Virginie est fatiguée. Très
fatiguée, elle accuse le coup. Elle recharge les batteries,
mange quelques barres de céréales, des fruits secs,
s’hydrate. Cela ne change pas grand-chose. Elle semble KO. Nous
poursuivons notre descente, plus lentement. Nous affrontons quelques
passages plutôt techniques : de belles roches plates et
glissantes inclinées vers la rivière tumultueuse. Nous
nous accrochons à la corde qui sert de main courante pour
cette délicate traversée. Nous atteignons finalement la
passerelle en bois située à quelques centaines de
mètres du refuge.
Arrivés
au campement, nous recherchons désespérément
quelques emplacements vacants. Nous disposons une fois de plus, de
ceux dont personne n’a voulu. Une odeur de déjection flotte
sur le bivouac. Il est plein à craquer. Quelque part, ça
me dégoûte un peu du GR20. C’est vraiment la partie de
l’aventure que j’apprécie le moins : retrouver chaque
soir un semblant nauséabond de civilisation.
Nous
rejoignons le bloc sanitaire : douche glaciale au menu. Sorti de
ça : Apéro au sommet. C’est notre dernier soir.
On commande une Pietra chacun et une bouteille de vin pour tous. On
évoque nos projets pour cette ultime journée en
dégustant une bière de terroir et en contemplant un
magnifique coucher de soleil. Demain, il nous faut parcourir deux
étapes. Ce sera dur et tout le monde n’en sera pas capable.
Virginie nous confie qu’elle se sent vraiment affaiblie et qu’elle
n’est pas sûre d’être en capacité de terminer
le GR. Nous étudions l’itinéraire et proposons une
variante. Nous rejoindrons Calenzana en empruntant le Mare à
Mare. Il s’agit d’un autre chemin d'itinérance. Il est
moins montagneux, moins difficile, moins beau, mais plus court. Il
croise une route goudronnée à plusieurs reprises. Ceux
qui voudront éventuellement arrêter la rando pourront
regagner Calenzana en stop. C’est un bon compromis. Je suis déçu
de ne pas clôturer le GR en puriste, de le lâcher juste
avant la fin, mais c’est comme ça. Au moins, nous
terminerons ce trek ensemble.
Passons
aux choses sérieuses. C’est le dernier soir, il nous faut
engloutir le reste de nos vivres, durement acheminées, sur nos
épaules, durant 11 jours. En entrée : plat de
pâtes au cube maggi, mélangé à un sachet
nouilles chinoises et à une portion déshydratée
à usage individuel. Un régal pour des randonneurs
gourmets. En plat principal : Semoule de couscous aux cinq
épices et aux quatre sardines : Le menu gastronomique du
trekkeur, le couscous de la mer revisité… What else ?
Peut-être un peu de gâteau à la châtaigne,
pour caler le tout. Ce soir, même Vince semble rassasié.
Nous rejoignons nos tentes pour une dernière nuit dans les
montagnes corses. Heureux, mais déjà presque
nostalgiques.
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