TITRE

TITRE

JOUR 11

2 jours, 3 étapes : c’est terre-à-terre. C’est aussi l'unique moyen dont nous disposons pour atteindre notre objectif. Après débat et réflexion, nous prévoyons finalement de ne faire qu’une seule étape aujourd’hui. Ces deux derniers jours ont été particulièrement chargés en efforts et en émotions.

Avant de lever le camp, alors que nous terminons de ranger nos affaires, Virginie se rend compte qu’elle a égaré son téléphone. Elle le cherche partout. Elle ressort ses effets personnels, vide son sac, revient sur ses pas… Elle remue ciel et mer. Elle interroge les uns et les autres… Impossible de remettre la main dessus. Elle laissera finalement un mot au refuge avec mon numéro en espérant que je sois recontacté rapidement.

 Nous démarrons cette journée par une longue grimpette matinale. Je pars devant et atteins le sommet vers 10h30. L’ascension s’avère particulièrement difficile, il fait une chaleur accablante et une bonne partie du parcours ressemble davantage à de l’escalade qu’à de la randonnée. Je suis suivi de près par Ludo. Par nature, il avance rapidement. Il reste souvent discret, à l’arrière du groupe, pour fermer la marche et encourager les derniers. Mais parfois, il se laisse aller à sa propre vitesse de croisière, et malgré les ampoules, il explose tout…
Je prends une photo de Ludo. Il est notre photographe officiel. Je lui ai confié mon appareil en début de séjour. Ludo immortalise pour nous de nombreux moments, mais en définitive il n’apparaît presque jamais sur les photos. Alors, ce cliché, on le lui doit bien… Il prend la pose, tel un alpiniste victorieux, les pieds fermement ancrés au sommet du col.




Un peu avant midi, nous descendons vers un petit lac en empruntant un goulet fortement chargé en blocs rocheux. La marche est fatigante et relativement dangereuse. Nous rejoignons les berges salvatrices après avoir traversé un bosquet dense et épineux. Nous offrons à nos pieds un bain glacé des plus délicieux. Il fait chaud, mais nous apprécions cette pause déjeuner à l’ombre des quelques arbres qui colonisent ce sol pauvre et sec. A la fin du repas, Vince nous fait part de ses problèmes gastriques. Nous imaginons son épitaphe : « Ci gît, Vincent le mélancolique, vaillant, mais décédé dans d’atroces souffrances, n’ayant pu se soulager d’une épouvantable et abominable colique ». Nous nous plaisons au bord du lac, mais il nous reste encore quelques kilomètres à parcourir avant d’atteindre le refuge de Carrozu. Je m’apprête à partir alors que Virginie me fait croire à une seconde pause-café… L’humeur est aux farces et quolibets… Et dire que dans 48h, tout ça sera derrière nous…


Nous descendons de la montagne. Le paysage est minéral, les reliefs sont très découpés et stratifiés. Il y a certainement de belles déductions géologiques à faire de ses panoramas, mais je suis dans l’incapacité de les produire. Tout cela est bien loin derrière moi désormais. J’apprécie alors le site pour ce qu’il est, sans chercher à l’interpréter scientifiquement. Ça me suffit.



Lors de notre descente, nous croisons un étrange personnage. Il gravit la montagne en tongs, un bâton de bambou à la main. Ses pieds sont sales, cassés et en sang… Mystique illuminé ? Défi incongru ? Évasion d’asile ? Guinness book ? Bizutage de longue haleine ? Gage exécuté pour pari perdu ? L’Histoire ne le révélera pas… Le challenge, appliqué à l'intégralité du GR, semble impossible à relever. La simple vision de ses orteils me fait froid dans le dos. Il n’en est qu’à la troisième étape. Je ne donne pas cher de sa peau… Le cirque de la solitude le tolèrera-t-il ?

À environ 1h30 de marche du refuge, nous arrêtons sur une large dalle surplombant une vallée encaissée creusée par un indomptable torrent. Virginie est fatiguée. Très fatiguée, elle accuse le coup. Elle recharge les batteries, mange quelques barres de céréales, des fruits secs, s’hydrate. Cela ne change pas grand-chose. Elle semble KO. Nous poursuivons notre descente, plus lentement. Nous affrontons quelques passages plutôt techniques : de belles roches plates et glissantes inclinées vers la rivière tumultueuse. Nous nous accrochons à la corde qui sert de main courante pour cette délicate traversée. Nous atteignons finalement la passerelle en bois située à quelques centaines de mètres du refuge.


Arrivés au campement, nous recherchons désespérément quelques emplacements vacants. Nous disposons une fois de plus, de ceux dont personne n’a voulu. Une odeur de déjection flotte sur le bivouac. Il est plein à craquer. Quelque part, ça me dégoûte un peu du GR20. C’est vraiment la partie de l’aventure que j’apprécie le moins : retrouver chaque soir un semblant nauséabond de civilisation.

Nous rejoignons le bloc sanitaire : douche glaciale au menu. Sorti de ça : Apéro au sommet. C’est notre dernier soir. On commande une Pietra chacun et une bouteille de vin pour tous. On évoque nos projets pour cette ultime journée en dégustant une bière de terroir et en contemplant un magnifique coucher de soleil. Demain, il nous faut parcourir deux étapes. Ce sera dur et tout le monde n’en sera pas capable. Virginie nous confie qu’elle se sent vraiment affaiblie et qu’elle n’est pas sûre d’être en capacité de terminer le GR. Nous étudions l’itinéraire et proposons une variante. Nous rejoindrons Calenzana en empruntant le Mare à Mare. Il s’agit d’un autre chemin d'itinérance. Il est moins montagneux, moins difficile, moins beau, mais plus court. Il croise une route goudronnée à plusieurs reprises. Ceux qui voudront éventuellement arrêter la rando pourront regagner Calenzana en stop. C’est un bon compromis. Je suis déçu de ne pas clôturer le GR en puriste, de le lâcher juste avant la fin, mais c’est comme ça. Au moins, nous terminerons ce trek ensemble.


Passons aux choses sérieuses. C’est le dernier soir, il nous faut engloutir le reste de nos vivres, durement acheminées, sur nos épaules, durant 11 jours. En entrée : plat de pâtes au cube maggi, mélangé à un sachet nouilles chinoises et à une portion déshydratée à usage individuel. Un régal pour des randonneurs gourmets. En plat principal : Semoule de couscous aux cinq épices et aux quatre sardines : Le menu gastronomique du trekkeur, le couscous de la mer revisité… What else ? Peut-être un peu de gâteau à la châtaigne, pour caler le tout. Ce soir, même Vince semble rassasié. Nous rejoignons nos tentes pour une dernière nuit dans les montagnes corses. Heureux, mais déjà presque nostalgiques.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire