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Nuit 6 : Une soirée d’enfer

Mon estomac ne semble pas vouloir me laisser en paix cette nuit non plus. Les gargouillements répétés qu’il diffuse m’inquiète mais les nuisances demeurent uniquement sonores. Je m’imagine mal enjamber Laurent et perturber son repos avec ma frontale afin de soulager mon corps. Heureusement, ma gêne n’empire pas et je me contente de changer de position fréquemment en espérant ne pas déranger Laurent que je sens bouger également.

Après un certain temps, j’entrevois des flashs à travers mes paupières fermées. Je suppose que ce sont les frontales de randonneurs qui gagnent leurs tentes depuis le camp de base ou d’autres dormeurs qui rencontrent des difficultés pour trouver le sommeil.

Mais quelque chose cloche. Les scintillements se font de plus en puissants et fréquents. Ils sont bientôt accompagnés de grondements qui viennent déchirer le silence de la montagne. Je comprends alors que je me fourvoie depuis le début : C’est la foudre qui fait rage autour de nous.

C’est un véritable concert de plaintes graves qui prend place au-dessus de notre tente. Impossible de l’ignorer malgré les boules quies logées dans mes oreilles. Cette menace qui gronde fait passer mes problèmes de digestion au second plan. Un éclair peut-il s’abattre sur notre tente ? Quelles sont les probabilités pour que cela arrive ? Et si cela arrive, quelles sont nos chances de survie ? Quel est le ressenti de Philippe sous son tarp ? Ludo et Fred s’en sortent-ils mieux que nous dans leurs tentes ? Combien de pintes Guillaume a siroté aujourd’hui ?

Mais alors que les questions se multiplient, les nuisances sonores s’interrompent brutalement. La fin du vacarme signifie-t-elle le début du repos pour nous ?

Après plusieurs secondes de soulagement, un nouveau bruit surgit dans la nuit. Contrairement aux éclairs, il est continu et léger. Je comprends alors qu’une averse est venue remplacer l’orage, ce qui m’inquiète beaucoup moins.

Nous en avons déjà croisées quelques-unes lors de nos périples précédents et même s’il est plus difficile de trouver le sommeil avec la perturbation sonore, elles ne nous ont jamais tués. Mais cette pluie-là est différente. Son rythme est soutenu et les percussions des gouttes sur notre tente se font de plus en plus bruyantes. Mon anxiété grandit à mesure que le brondissement devient lourd. Je ne peux plus nier l’évidence : ce sont de véritables grêlons qui bombardent notre tente. Je peux sentir leur pression sur la toile de tente comme s’ils chuchotaient à mon oreille :

-Est-ce que la tente de Laurent est suffisamment étanche ?

Laurent doit être éveillé à présent avec le brouhaha environnant. Quoiqu’avec lui, on ne sait jamais… Alors que je m’apprête à lui adresser la parole, le vacarme cesse une nouvelle fois subitement.

Le silence reprend place sur le camp de base. Mais est-ce une courte trêve ou bien un réel traité de paix ? Une nouvelle perturbation climatique va-t-elle bientôt s’abattre ? Une tornade va-t-elle déraciner notre tente ou bien est-ce un tremblement de terre qui va poursuivre le festival météorologique ?

Après quelques minutes d’incertitude, c’est finalement l’orage qui vient nous faire un rappel de son concert. Puis les basses laissent de nouveau place aux percussions de la grêle. C’est l’alternance des deux phénomènes qui vient rythmer notre nuit. Parfois, je remarque un léger essoufflement des sons et j’espère alors que nous arrivons au terme de la symphonie. Mais alors le récital suivant s’élève plus assourdissant que le précédent et me fait mentir. Je ne compte plus le nombre de giboulées qui ont vrombit depuis le début de la nuit et j’ai l’impression que cela fait des heures que nous subissons leurs assauts.

Je sens l’humidité envahir le côté de la tente et je perçois un faible clapotement. Comme une goutte qui viendrait mourir sur mon duvet. A moins que cela ne soit mon imagination.

Je force à maintenir mes yeux fermés et j’essaye de dégager mon attention de ce qui se passe à l’extérieur. Mais je n’y arrive pas. Je porte mon esprit vers Naama, la fête du PACS qui m’attend en France et ses préparatifs. Je repense même au boulot que j’ai laissé avant de partir en vacances alors que je m’étais interdit de le faire. Je dessine dans ma tête le chemin que nous avons parcouru pour arriver jusqu’ici. Tout ça pour quoi ? Pour que le ciel nous tombe sur la tête ?

Non, c’est pour le Kazbek que nous sommes là. Et il est en train de mettre à l’épreuve notre détermination et notre abnégation. Nous devons tenir.

C’est cette ultime conviction qui m’accompagne pour le reste de la nuit. Le reste de la pire nuit de ma vie.




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