Le
dernier jour… Ça y est, nous y sommes. Ce soir, nous
pourrons théoriquement prendre une bonne douche chaude, nous
laver longuement, manger des fruits gorgés de sucre, des
légumes croquants… Nous pourrons dormir sur un matelas
moelleux avec un véritable oreiller. Nous pourrons retrouver
notre confort habituel et nous l’apprécierons certainement
bien plus qu’avant notre départ… Nous en disposions, mais
nous n’en avions pas conscience. C’est un peu comme le bonheur.
Je le recherche, j'ai envie de la vivre, je le vis, mais je ne le
vois pas, je ne le ressens pas, je ne le perçois pas. Ce n’est
qu’après coup, que je me rends compte que j’étais
pleinement heureux, ou du moins que j’en prends entièrement
conscience.
Nous
quittons sans regret le refuge de Carrozu pour emprunter un chemin
descendant à travers une zone rocheuse et boisée. Nous
traversons à nouveau la rivière en utilisant une
passerelle de planches et de cordages. Chaque pas nous fait rebondir
un peu plus, l’effet s’estompant au départ et à
l’arrivée du pont.
Un peu
plus loin, nous croisons une femme, une porteuse. Elle est munie
d’une hotte qu’elle endosse fièrement. Cette dernière
semble bien lourde, bien chargée. L’employée livre le
campement en vivres diverses, pour le ravitaillement des randonneurs…
Quelque part, il n’est pas étonnant que les produits soient
vendus si chers aux refuges. Nous admirons le courage, la force et la
détermination de cette femme qui exerce un métier plus
qu’usant au quotidien. Chapeau bas.
Nous
continuons la descente pendant quelques heures. Virginie est encore
bien fatiguée. Elle compte s’arrêter au niveau de la
route que nous devons bientôt croiser. Elle rejoindra Calenzana
en stop. Je suis en peu déçu pour elle, qu’elle
n’aille pas jusqu’au bout de l’aventure, qu’elle lâche
avant la fin. Mais lorsque nous atteignons la route, elle semble
davantage soulagée qu'attristée. Nous empruntons cette
dernière sur quelques centaines de mètres avant de
retrouver le Mare à Mare. Nous quittons lâchement
Virginie au bord de l’accotement… Peut-être est-ce elle, au
fond, qui nous délaisse ? Un abandon forcé... Elle
se fait prendre en stop par un père de famille accompagné
de ses enfants. Bonne route ! Bon vent !
Nous poursuivons notre marche, tous les 4, sur le Mare à Mare : littéralement « de mer à mer ». C’est un sentier qui sillonne la Corse d’ouest en est. Il en existe 3 à ma connaissance, l’un traverse l’île au sud, l’autre au centre et le dernier, celui que nous empruntons, la traverse au nord. Nous avons véritablement l’impression d’avoir quitté la montagne : moins de relief, plus de végétation, un chemin plus large offrant des perspectives paysagères moins intéressantes. Nous continuions notre périple sur une large piste forestière. Nous avançons vite, sur un terrain lisse et facile. La chaleur est écrasante, de moins en moins supportable. À midi, j'incarne la personnification d'un figatelli bien gras que l’on vient de poser sur un barbecue. Je suinte, je perle, je cuis, je m’enflamme… je suis à point…
Nous commençons à chercher un endroit pour manger. Un petit site à l’ombre d’un cours d’eau ferait parfaitement l’affaire. Nous avons repéré 3 ruisseaux sur la carte, ils descendent à flanc de colline et traversent la route en différents points. Ils sont à quelques centaines de mètres de nous. Nous atteignons rapidement la première rigole. Il n’en reste pas grand-chose, elle est frappée d’un sévère étiage. Pour les 2 autres, le diagnostic est identique, voire même plus accablant… Désert corse, quand tu nous tiens… Difficile de penser que Colona ait pu survivre aussi longtemps dans le maquis. Nous mangeons sous un arbuste à quelques mètres du ruisseau. Il fait diablement chaud. C’est notre dernier repas. Vince sort une botte secrète : une boîte de sardines…The last one...
Nous
décampons rapidement de notre spot de fortune pour retrouver
avec délice notre écrasante chaleur… Même le
vent est chaud. Il nous reste encore quelques kilomètres à
parcourir pour rejoindre Calenzana : une courte montée,
puis une descente assez longue : la descente finale. Nous
poursuivons l’ascension de la colline. Le sol devient plus sableux.
Chaque nouveau pas fait pour moi l’objet d’une négociation
avec mon organisme. À résultat constant, l’effort à
fournir sur ce terrain difficile est de plus en plus intense. Je
suinte, je perle, je cuis, je m’enflamme… Désert Corse…
Le processus physique de sublimation est sur le point de se produire…
J’y échappe de justesse en rejoignant le sommet de la
colline.
Non, ce n’est pas un mirage. À nos pieds, Calenzana se dessine : magnifique et accueillante. Au second plan, la mer et le ciel se confondant en nuances de bleu à l’horizon. Je ferai volontiers un bond démesuré pour me retrouver totalement immergé en pleine mer. Je me concentre et je tente de me téléporter. Échec cuisant… Une prochaine fois, peut-être.
Nous
descendons vers Calenzana. La perspective de la fin de cette longue
marche nous donne des ailes. Je rallume mon téléphone.
J’essaye de joindre Virginie. Elle a regagné le petit
village. Elle nous attend en terrasse d'un restaurant, digérant
un délicieux repas et profitant des rayons du soleil sur un
fond de pause café-clope. Je lui demande de s'enquérir
des horaires de bus et de localiser l’arrêt. Ludo veut
prendre le bateau, ce soir, à l’île Rousse, afin de
rentrer sur Nice. Il nous faut pour cela rejoindre Calvi en car, au
préalable. Je conviens avec elle de la recontacter dans 10
minutes, laps de temps suffisant pour se procurer les indications. Je
rappelle : elle ne s’est pas renseignée, ou du moins, les
infos tardent à venir. Ça m’énerve
passablement. Je lui demande à nouveau d'aller aux nouvelles.
Elle me raccroche au nez.
Nous
poursuivons notre course vers Calenzana. Ça y est, nous y
sommes. Les premiers murets de pierres, les premiers pavés.
Calenzana, nous voilà. Trek terminé, mission réussie.
Moment de satisfaction, de fierté. Ce récit en est le
témoin…
Nous
rejoignons Virginie. Je lui fais la gueule. C’est réciproque.
Dommage de conclure sur une telle note. On continue à marcher
pour atteindre l’arrêt de bus. Arrivé sur place, j’ai
une explication avec Virginie. On se prend la tête, à
nouveau, bien comme il faut… Ça jette un froid sur cette fin
d’aventure.
Alors
que nous attendons le car, Vince décide de rester à
Calenzana, au camping du GR. Il souhaite apparemment prolonger ce
moment plus longtemps. Ce soir, il fera le boss devant les
randonneurs novices entamant la marche dans le sens nord-sud. Il sera
de bons conseils, ceux que prodigue un trekkeur aguerri.
Ludo, Ly, Virginie et moi montons dans le bus après avoir fait nos adieux à Vince. Arrivés à Calvi, Ly et Ludo prennent le train pour l’île Rousse. Ce dernier démarre 30 secondes après qu’ils aient acheté leur billet. Je ne les vois même pas s'en aller. On se souhaitera bonne route par texto. Virginie et moi partons chacun de notre côté, en stop pour Bastia.
Je
suis déçu que le GR se soit terminé comme cela :
la dispute, l’éparpillement de l’équipe. Une
dernière soirée tous ensemble eut été la
bienvenue. Le planning était serré, un peu trop. On
fera mieux la prochaine fois. Cet épilogue fait également
partie de l’aventure, il en fait une de ses singularités. On
a passé un terrible et inoubliable séjour, c’est
l’essentiel. Ce soir, je retrouve ma femme et ma fille à
Bastia. Arrivée de leur avion à 22h. J’ai hâte
de les revoir. Après quelques minutes de marche, je trouve un
véhicule… Fin du trek, ça y est : c’est
terminé… Une autre aventure commence : celle des
vacances en famille…
Remerciements :
un grand merci à Ludo qui a pris de magnifiques clichés
tout au long de ce formidable périple. De belles photos, pour
d'inoubliables souvenirs… Encore une fois, merci, à toi,
l’ami, pour avoir immortalisé tout cela…
Pour
finir, je tiens à remercier ma femme, pour m'avoir laissé
vivre cette expérience hors du cocon familial, pour avoir
accepté que je me consacre pleinement à l'une de mes
passions, pour avoir consenti au sacrifice du temps libre que nous
aurions pu exploiter, à deux ou à trois, différemment.
Le temps cumulé : avant, pendant et après le trek.
Je suis bien conscient de ce que cela implique pour toi. Alors,
merci...
Et ceux qui t'ont ouvert leur porte alors que tu puais le chacal et qui t'ont offert cette douche à la fleur de monoI, hein !!??
RépondreSupprimerEt ceux qui t'ont ouvert leur porte alors que tu puais le chacal et qui t'ont offert cette douche à la fleur de monoI, hein !!??
RépondreSupprimerOui, c'est vrai... Petit oubli!! Un grand merci à Marion et Pascalou pour leur merveilleux accueil !!! Un bon nombre d'êtres humains hésiteraient avant de confier à un chacal leur gel douche à la fleur de monoï... Et eux, ils n'ont pas hésité... Pas une seconde (l'odeur y était certainement pour quelque chose). Je crois que je n'ai jamais autant apprécié une salle de bain que ce jour là ! Merci les Corses :,)
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