Au
réveil, nous constatons que nous avons reçu de la
visite cette nuit… Les restes de la veille, que nous n’avions
négligemment pas ramassés, ont été
déportés de quelques mètres et ont fait l’objet
d’un nettoyage minutieux, par nos visiteurs nocturnes… Des
sangliers ou des cochons sauvages, très probablement. Ils ne
se sont, fort heureusement, pas introduits dans nos tentes.
Philippe
a très mal dormi. C’est décidé, pour lui, le
GR s’arrête ici. C’est son dernier mot. Sa sentence est
irrévocable ! Avant de nous quitter, il se déleste
de quelques vivres. Nous acceptons son cadeau d’adieu.
Nous
partons, à 4, en direction du nord. Aujourd’hui, nous devons
atteindre Vizzavone. C’est la petite ville qui sépare le GR
sud, du GR nord. Franchir ce palier est crucial. Cet objectif
correspond à un symbole, la réussite d’une partie non
négligeable de la randonnée. Certes, il s’agit de la
plus facile, mais ce sera déjà ça. Nous devons
marcher durant une étape et demie avant de rejoindre notre
but.
Il est
9h lorsque nous décampons. Je suis prêt depuis 8h. Je
ronge mon frein. Nous partons toujours trop tard à mon goût.
La vie en communauté implique quelques concessions. L’inertie
matinale qui plane sur le campement m’exaspère parfois. Je
ne me laisse que difficilement aller au réveil en douceur,
quelles que soient les circonstances.
Nous
traversons une forêt. Cette partie du GR est très boisée
contrairement au nord qui est réputé comme beaucoup
plus minéral. Nous nous égarons peu de temps après
le départ. Nous avons perdu de vue les balises. Nous tentons
plusieurs pistes dont l’une qui descend à pic le long d’un
flanc de montagne. Nous divaguons ainsi durant une petite demi-heure
avant de rejoindre le bon itinéraire.
Nous
marchons dans le sous-bois depuis un moment désormais. La
route qui mène au prochain refuge est plus longue que nous ne
l’avions pensé. Le sac de Virginie est visiblement un peu
trop lourd pour elle. 18kilos, c’est limite. Nous rééquilibrons
nos besaces afin de la soulager. C’est principalement Vince et Ludo
qui prennent en charge le surplus. Mon sac est déjà
bien rempli. Il fait 20 kilos. Son poids est mal réparti, les
lanières pectorales n’existent plus et les attaches
ventrales sont cassées. Je supporte donc tout le poids de ce
dernier sur les épaules. Je suis obligé de glisser une
serviette sous les sangles de mon sac pour atténuer la douleur
qui s'installe. Je procède à une réparation de
fortune avec de la ficelle dans le but d'améliorer le portage
du fardeau. C’est pas terrible, mais c’est mieux que rien…
Cette
marche matinale est interminable. Le dénivelé n’est
pas important, mais la route est longue. Nous arrivons à
Capannelle un peu après 14h. On est crevé, démoralisé
d’avoir avancé si lentement en cette matinée. On se
pose en terrasse, au niveau du refuge. C’est une station de ski en
hiver. C’est assez moche, il faut le dire. Nous mangeons et
évoquons la possibilité de nous arrêter ici pour
la journée. Les avis sont partagés. Très
partagés. Nous discutons également l'option d’un
bivouac sauvage, un peu plus loin, à mi-chemin en Capannelle
et Vizzavone. Finalement, nous repartons, sans trop d’enthousiasme,
vers 15h, en direction de Vizzavone.
Nous
avons quitté la terrasse du refuge depuis presque 2h, lorsque
nous croisons un groupe de randonneurs. Nous leur demandons s’ils
peuvent estimer la distance qu’il nous reste à parcourir
pour rejoindre Vizzavone. Selon eux, nous sommes à 1h30 du
Village. Yes !!! Ça nous donne du baume au cœur. Encore
un petit effort et c’est bon !!!
2
heures plus tard, nous marchons toujours… Vizzavone est-elle un
mirage ? Une cité cachée ? L’avons-nous
dépassée ? Vizzavone n’existe pas, Vizzavone est
une légende… C'est certain. Nous croisons un second groupe
de randonneurs. Selon eux, nous sommes à 1h de Vizzavone. Dur
à avaler. Mais c’est pourtant vrai.
Cette
péripétie s’est déroulée une bonne
demi-douzaine de fois sur l’intégralité du trek. Dans
un sens comme dans l’autre : soit une sous-estimation, soit
une sur-estimation des temps de marche. Le GR provoque, dirait-on,
certaines distorsions temporelles… Nous en plaisantons et décidons
de pratiquer ce jeu-là avec les groupes que nous croiserons.
Principe que nous n’appliquerons finalement pas… Nos instincts
d’honnêtes randonneurs se refusant à endosser cette
attitude contre nature…
Il est
cependant intéressant de remarquer que nos avis divergent
lorsque cette même question nous est posée. Le fait de
vivre, au rythme du soleil, en exerçant une activité
identique pendant plusieurs heures et plusieurs jours, déréglerait-il
notre propre appréciation du temps ? Nous laisserions
nous influencer par les différentes sensations, perceptions
que nous avons de ces moments de marche ? Cette distorsion
serait-elle liée à la manière dont nous évaluons
ces instants, suivant que la randonnée nous ait semblé
aisée et agréable ou contraignante et fatigante ?
Vince
oublie un de ses bâtons en haut du mont surplombant Vizzavone.
Il s’en rend compte 10 minutes après la pause. Il retourne
le chercher. Cela deviendra sa spécialité…
Alors
que nous descendons vers Vizzavone, Vince se tape un délire
mystique… Il endosse le costume d’un conteur issu d’un
croisement génétique entre Pierre Bellemare et Max
Gallo… Ma sœur et moi sommes les héros de sa légende…
Ça nous donne du cœur à l’ouvrage. Nous continuons
notre route tandis que Vince narre un mythe à notre effigie,
en employant moult figures de style, des plus imagées… Ça
sent le craquage. Ludo descend lentement et en silence. Ses ampoules
plantaires le font atrocement souffrir, mais il ne laisse rien
paraître… Tout est dans le mental, tel est son message…
Nous
arrivons vers 20h, à Vizzavone. On est crevé, mais
on a réussi. Ce soir, on dort à l’hôtel et on
mange au restaurant… C’est la fête !!! Après un
apéro bien mérité, on choisit un copieux menu
dont le plat principal est un ragoût de sanglier. C’est trop
bon ! En fait, ce n’est pas du sanglier, c’est du veau. La
serveuse nous explique que le véritable plat est proposé
uniquement en saison, sa disponibilité variant en fonction des
arrivages de la chasse. Le met reste tout de même très
goûtu…
On
rentre à l’hôtel. La douche est appréciable,
plus qu’appréciable. On a gagné l’épreuve de
confort de Koh Lanta! Ça fait du bien. Je m’apprête à
passer une très bonne nuit, sur un matelas moelleux à
souhait. En fait, je transpire à grosses gouttes durant
presque toute la nuit. Je ne sais l’expliquer. Le matin, je me
réveille très tôt. Mes draps sont trempés.
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