Mes yeux sont rivés sur l’objectif. Le moment est dramatique.
-Good bye baby !
J’essaye d’embrasser Naama mais elle explose de rire après ma tirade et me repousse. Elle n’est pas d’accord avec le texte qu’elle juge trop ringard. Selon moi, il est à la fois concis et efficace. J’exprime mon désaccord mais je finis par revoir ma version :
-C’est l’heure du grand départ… C’est le cœur plein d’émotion que je quitte les lieux…
J’ai le sentiment que ce monologue ne fait pas lui non plus l’unanimité mais il est accepté. C’est à la demande de Guillaume mon beau-frère que j’ai accepté de me prêter à ce jeu de message d’adieu pré-trek. Il a décidé d’immortaliser notre aventure en Géorgie avec la réalisation d’un mini-film. Ce n’est pas le premier voyage qu’il met en vidéo mais cette fois-ci, il souhaite que le film contienne essentiellement des vidéos et peu de photos alors il nous a demandés de faire quelques efforts. Nous sommes à l’aube de notre trek en Géorgie et je viens donc d’accomplir avec un résultat mitigé ma première mission.
Il est maintenant temps des « au revoir », des vrais ! Nous sommes vendredi 03 Août 2018, il est 08h00 du matin, l’heure pour Naama de partir au travail. Nous ne nous reverrons pas avant la nuit du 14 Août qui correspond à la date de notre billet d’avion pour le retour. C’est un moment difficile pour nous, car nous savons que nous avons des difficultés pour gérer ces moments de séparation. Elle sait que je ne pourrai pas la contacter facilement en Géorgie à cause du tarif des communications vers la France et de notre localisation loin des réseaux. Le timing est par ailleurs vraiment mal choisi à cause de la date de la fête que nous organisons en l’honneur de notre PACS récent qui est prévue le samedi 18 Août. Elle va donc devoir gérer un grand nombre de préparatifs jusqu’à mon retour. Nous promettons de nous contacter à la première occasion puis nous nous embrassons une dernière fois avant son départ.
Je me retrouve seul à la maison et je dispose d’environ quatre heures pour finaliser mon paquetage. Le rendez-vous de départ pour l’aéroport de Paris est prévu à midi chez moi avec certains de mes compagnons de trek. J’aimerais profiter du confort de ma maison pendant ces derniers moments mais la priorité est clairement tournée vers mon matériel de trek qui conditionnera la qualité des dix jours à venir. Je me rends au bureau où m’attend mon sac ainsi que tous les sous-conditionnements nécessaires à ma vie en nature. On retrouve des classiques tels que la tente, le duvet, le matelas gonflable, les vêtements, le sac de nourriture mais aussi la trousse de soins, la trousse de toilette, le réchaud, la popotte,… Je dresse l’inventaire de ce que je range dans mon sac et je vérifie que rien n’est oublié par rapport à la liste que j’ai établie lors de la conception de mon paquetage. Dans l’optique d’optimiser son poids, j’ai préalablement pesé chaque élément intégré avant de le regrouper avec d’autres de sa catégorie. Ce travail fastidieux me permet de gagner du temps dans le rangement et je constate que mon travail porte ses fruits. Contrairement aux treks passés, tout rentre dans mon sac, excepté mon matelas que je fixe sur une attache intégrée sur le dessus de mon sac. Je n’ai donc pas besoin de mes 2 tendeurs et je gagne encore près de 300 grammes ! D’après le fichier informatique qui me permet de suivre le poids de mon sac, mon paquetage de départ pèse environ 14,5 kilos. Dans mes souvenirs, ce poids avoisinait les 18 kilos lors de mes précédentes expéditions.
C’est avec cette petite victoire en tête que je pars me doucher avant de me préparer pour le départ. J’enfile une de mes deux paires de chaussette, un de mes deux caleçons, mon pantalon que je convertis en short et la nouveauté de l’année : mon tee-shirt à manches courtes en Merino. Le commerçant à qui je dois cette trouvaille me l’a vendu comme étant respirant et donc anti-odeur pour la durée du trek. Je n’ai donc que ce tee-shirt pour la durée du voyage et j’espère que sa couleur orange flamboyante me portera dans les sentiers difficiles. Une fois habillé, je prends conscience que je ne risque pas de retrouver ce sentiment de propreté et de fraîcheur avant un certain moment.
J’ai le temps de flâner un peu avant l’arrivée des autres mais mon esprit est clairement tourné vers le départ. Mon impatience est finalement satisfaite quand j’entends frapper à la porte. C’est sans surprise Philippe qui arrive le premier. A l’origine du planning du voyage, il a insisté pour que nous partions sans retard afin de ne pas prendre le risque de rater notre vol en cas d’imprévu. C’est quelqu’un de fiable et de méticuleux, c’est d’ailleurs à lui que je dois le fichier informatique qui m’a permis d’établir le poids de mon sac. Quand il fait quelque chose, il le fait toujours à fond et cela lui a permis de se distinguer dans le passé avec certains de ses équipements comme le tarp ou son chapeau de camouflage constitué de feuilles artificielles aux couleurs des militaires. Je constate qu’il est sur la même longueur d’onde que moi : excité par le départ. On échange sur nos questionnements mais nous sommes rapidement rejoints par nos deux autres compagnons de route.
L’arrivée de Laurent et Guillaume dénote drastiquement avec celle de Philippe. Nous apprenons qu’ils souhaitent se restaurer avant le départ et ils ont donc apporté un plat à réchauffer.
-C’est pas une cafétéria ici les gars !
Guillaume, le mari de ma sœur, est celui qui nous a initiés aux randonnées sauvages. Il a su éveillé la curiosité du trekking en moi au retour de son voyage en Corse pour réaliser le GR20. Il m’a proposé l’année suivante de le suivre en Ecosse et j’ai partagé le projet avec Philippe et Laurent. Ils ont adhéré au concept et nous avons réalisé cette première expédition à la fin de nos études d’ingénieur. Depuis, chaque année, une randonnée se crée et le groupe évolue selon les disponibilités de chacun.
Cette année, notre choix s’est porté sur la Géorgie pour ses paysages magnifiques qui oscillent entre les plaines verdoyantes et les montagnes rocailleuses. La Géorgie regorge de nombreuses montagnes et nous prévoyons de réaliser l’ascension de l’une des plus hautes : Le Mont Kazbek. Culminant à cinq-mille quarante-sept mètres d’altitude, nous devrons recourir pour la première fois à l’alpinisme pour l’atteindre, après un trek de trois jours dans le nord de la Géorgie. Environ deux fois plus faible que celui de la France, le coût de la vie dans le pays limitera nos dépenses sur place et a renforcé notre décision.
Lorsque chacun a terminé son repas, nous chargeons nos affaires dans ma voiture qui doit nous mener jusqu’à l’aéroport de Paris. Au moment d’allumer le contact, une question m’échappe :
-Il n’y a pas besoin de passeport pour aller en Géorgie ?
Un bref silence s’installe et c’est Philippe qui finit par me répondre :
-Il y a des chances que si, pourquoi ?
-J’ai pas pris le mien…
Je pars donc le chercher sous les yeux exaspérés de mes amis en ayant le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène lors d’un précédent trek.
Le trajet se passe plutôt bien. Il n’y a pas de problèmes sur la route et tout le monde en profite pour partager ses dernières trouvailles en matière d’équipement ou ses dernières informations glanées sur la Géorgie. Guillaume nous confie qu’il regrette presque de partir avec nous cette année et qu’il se serait sans doute abstenu s’il n’avait pas acheté son billet d’avion.
-J’ai pas mal la tête dans les travaux en ce moment et comme Liham ne fait pas bien ses nuits, j’ai l’impression d’être claqué en permanence… Et j’ai pas l’impression que ce trek en Géorgie va beaucoup me reposer…
Je comprends son ressenti car j’ai vécu à peu près la même chose deux ans auparavant lors de notre expédition en Norvège. J’y étais allé un peu à reculons. J’essaye de le rassurer en lui expliquant qu’il m’avait fallu deux ou trois jours mais j’avais fini par apprécier notre randonnée sauvage dans le froid.
Après une bonne heure dans les bouchons sur Paris, il ne reste plus beaucoup d’essence dans ma voiture quand nous arrivons à l’hôtel indiqué par Laurent. Le lieu a l’avantage de pratiquer des tarifs beaucoup moins excessifs que l’aéroport pour l’utilisation de son parking. Nous déchargeons nos affaires avant d’utiliser l’ascenseur qui nous permettra de rejoindre l’hôtel.
Lorsque les portes s’ouvrent, nous sommes surpris par l’endroit dans lequel nous nous trouvons. Le lieu est vraiment très classe. Il s’en dégage une atmosphère chic, à mille lieux de ce qui nous attend en Géorgie. En cherchant notre chemin, nous déboulons dans le restaurant et je m’adresse à un serveur :
-Bonjour, où est la sortie s’il vous plaît ?
Avec nos sacs de randonnée, nous faisons un peu tâche au milieu du cadre de l’hôtel, ce qui doit expliquer qu’il met un certain temps pour m’indiquer le chemin vers la sortie. Nous quittons les lieux non sans un regard sur les décorations extravagantes du hall d’entrée.
Une navette nous conduit à l’aéroport et nous rejoignons rapidement la porte à laquelle nous attend notre avion. Avant d’enregistrer nos bagages, nous retirons de l’argent pour éviter d’avoir à payer des taxes bancaires en Géorgie et nous mangeons une collation. Nous souhaitons protéger nos sacs avec une cellophane mais nous nous ravisons lorsque nous découvrons les prix.
Puis vient le moment solennel de l’enregistrement des bagages. C’est une étape particulière pour nous puisque c’est le moment de la pesée des sacs. Nous vivons cet instant comme si nous passions devant l’œil critique d’un jury qui jugerait notre aptitude pour partir à l’aventure.
Après une lutte coriace et sans merci, le classement est le suivant. Guillaume termine bon dernier avec un sac avoisinant les dix-huit kilos. Laurent et moi-même arrivons à la seconde position avec un paquetage proche des quatorze kilos. Sans doute possible, c’est Philippe qui remporte la palme avec un sac juste au-dessus des onze kilos. Il est certain que ces différences de poids compteront pendant les ascensions à venir mais il nous faut pour l’heure nous débarrasser de nos charges qui passeront le voyage dans les soutes.
Nous passons les différents barrages de sécurité puis nous attendons l’ouverture des portes de notre avion. Nous avons quelques nouvelles des deux derniers compagnons de route qui doivent nous rejoindre directement à l’aéroport de Tbilisi où aura lieu notre atterrissage. Ludo décolle depuis Nice alors que le point de départ de Fred est situé à Copenhague. Ce sont deux amis de Guillaume qui sont originaires de Bretagne à la base. Nous devrions bien nous entendre !
Il est 20h quand nous pénétrons dans l’avion. Nous sommes séparés en deux groupes : Philippe, Laurent et moi-même sommes sur des sièges côte à côte tandis que Guillaume se retrouve tout seul avec des inconnus de l’autre côté du couloir central. Je me détourne du sort de mon beau-frère quand j’entends les cris d’un bébé résonner avec les aboiements d’un chien. Les soupirs de Laurent et Philippe confortent mon appréciation du problème : ces sources de bruit se trouvent à quelques sièges seulement de nous. Nous avons six heures de vol devant nous et elles risquent de ne pas être de tout repos. Pourtant mes yeux me piquent. Les quatre heures de conduite ont dû m’épuiser plus que je ne me le figure. Je défie tout pronostic et je m’endors sans même m’apercevoir si nous avons décollé ou pas.
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