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Jour 1- partie 1 : Les bonbonnes de Tbilisi

Une barquette. Voilà ce que mes yeux découvrent quand ils s’ouvrent. Je mets un moment à me remémorer que je suis en plein vol pour la Géorgie. J’ai tellement bien dormi que je n’ai pas été réveillé par la distribution des repas par le personnel de bord. Mes compagnons de route ont néanmoins eu la délicate attention de prendre mon repas et de me le laisser de côté. J’apprécie le geste et je leur rends honneur en déballant le paquet. Le repas n’est pas fantastique et j’éprouve des difficultés à reconnaître les aliments que j’ingère mais il a au moins le mérite de combler ma faim. Philippe et Laurent qui ont très peu fermé l’œil m’indiquent qu’il reste à peu près une heure de vol. Après avoir terminé le dessert, quelques morceaux de pomme, j’entrevois de piquer une dernière sieste mais je n’y arrive pas. Je me perds dans mes pensées jusqu’à ce que nous atterrissions.

Nous débarquons dans l’aéroport de Tbilisi et après avoir passé les barrages de la douane, nous nous dirigeons à l’endroit où nous allons récupérer nos bagages. L’attente un peu longue nous permet de mesurer l’atmosphère de l’aéroport. Nous sommes entourés par des panneaux publicitaires sur les casinos et l’immobilier. Avec Philippe et Laurent, nous avions déjà remarqué dans l’avion une brochure qui faisait la promotion d’immeubles géorgiens près de la côte en mettant en avant des prix plutôt attractifs. On y voyait là, une sorte de mise en avant de la Costa Brava géorgienne. Nous nous amusons à imaginer l’achat d’un appartement secondaire en Géorgie qui nous permettrait de faire la fête à prix réduit. Cela nous semble être un projet prometteur mais nous décidons de voir comment vont se passer les prochains jours avant de nous prononcer.

Nos bagages arrivent enfin et nous sommes soulagés de découvrir que le vol s’est bien passé pour eux et qu’aucun ne manque à l’appel. Nous arrivons alors au hall de l’aéroport où nous sommes très rapidement rejoints par Fred et Ludo.

Leur voyage a été bon et nous remarquons qu’ils sont dans le même état d’esprit que nous : Excités mais néanmoins fatigués par le trajet. Ce premier contact physique confirme les premières impressions que j’avais pu avoir à leur égard lors de nos échanges par mail et par Skype. Fred est très sociable et curieux et nous interroge rapidement sur notre préparation du voyage et partage avec nous ses choix de matériel. Ludo semble plus réfléchi et réservé, mais je perçois sa joie de retrouver Guillaume, Laurent et Philippe avec qui il a réalisé le trek de l’année précédente dans les Ecrins.

En raison du décalage horaire avec la France, il est 05h00 du matin. Notre objectif est de commencer le trek le plus tôt possible. Malheureusement, il nous manque un élément à notre paquetage : la bonbonne de gaz que nous n’avons pas pu emporter dans nos bagages puisque cela est interdit par le règlement des compagnies aériennes. Il n’y a pas de boutique dans l’aéroport nous permettant de nous en procurer, nous allons donc devoir nous rendre dans le centre de Tbilisi pour trouver un magasin spécialisé nous permettant d’acheter des bonbonnes. Une telle boutique n’ouvrira pas avant plusieurs heures alors nous décidons de fêter notre arrivée en allant boire un verre au bar de l’aéroport.

Nous prenons place sur des banquettes en cuir confortables et nous découvrons avec satisfaction les tarifs pratiqués ici. A deux euros la pinte, nous n’hésitons pas longtemps malgré l’heure très matinale. Tout le monde joue le jeu et nous trinquons au début de notre périple qui s’annonce palpitant alors que le soleil commence tout juste à se lever. La scène est unique et nous la savourons à sa juste valeur. Dans quelques heures, nous savons qu’il n’y aura pas la moindre table de bar dans les parages. Notre compagnie, la Mac Team est prête à en découdre avec les sentiers géorgiens !

Depuis notre premier trek en Ecosse, nous avons décidé d’adopter tous un surnom à base de Mac pour marquer notre appartenance à ce groupe de randonneurs un peu déjanté. Pour certains, le nom a été une évidence comme pour Philippe, appelé aussi Mac Tarp pour marquer son choix atypique d’abri qui le suit depuis notre premier trek : le tarp, une sorte de tente ouverte sur les côtés. Fred dont le nom de famille est « Amour » n’a pu échapper au surnom de Mac Love que je lui ai désigné dès nos premiers échanges de mail. Pour Laurent et moi-même, ce sont nos ennemis du premier trek qui viennent saupoudrer nos surnoms. Mac Tourb pour Laurent qui s’est empêtré plusieurs fois dans la tourbe, une boue écossaise particulière qui servirait également pour la préparation de whisky. Pour ma part, il s’agit de Mac Midges, en raison de mes colères intempestives à l’égard de ces moustiques écossais et il s’avère que Midges est quasiment le verlan de mon prénom, Jimmy.

Il reste alors les deux cas les plus compliqués. En Ecosse, Guillaume arborait fièrement Mac Broken Glasses, en raison de son exploit à casser ses lunettes de vue juste avant le départ de notre trek. Mais depuis, ses yeux ont subi une opération et il n’a plus besoin de porter de lunettes, rendant son surnom incongru. Il nous propose de le transformer en Mac Vape en hommage à ses cigarettes électroniques qu’il dégaine régulièrement. Mitigés, nous acceptons et nous espérons qu’il ne deviendra pas Mac Broken Vape dans le futur ou son humeur pourrait en prendre un coup. Enfin, il reste Ludo qui a hérité du surnom de Mac Gerry. Cela fait référence à un personnage rencontré en Ecosse, Gerry le tenant d’un gîte providentiel qu’un guide de route désignait comme presqu’impossible à rencontrer. Lors de leur premier trek dans les Ecrins, Ludo était parti d’un point de départ différent et était censé retrouver les autres sur le parcours. Au fur et à mesure des jours, Laurent et Philippe se sont demandés si Ludo qu’ils ne connaissaient pas et qui tardait à les rejoindre existait vraiment et cela leur a rappelé la légende de Gerry, créant ainsi le surnom pour Ludo.

Nos échanges sont joyeux, nous revenons sur notre préparation et le voyage que nous avons passé chacun de notre côté. Puis la question de la deuxième bière se pose. Je suis tenté et je ne suis pas le seul. Heureusement, la sagesse de certains nous ramène à la raison. Une longue journée nous attend, et la débuter avec l’esprit enivré n’est certainement pas judicieux pour résoudre les problèmes logistiques auxquels nous allons être confrontés aujourd’hui.

Nous quittons les lieux et nous allons devant l’aéroport. Deux possibilités s’offrent à nous pour rejoindre le centre de Tbilisi : le bus ou le taxi. Nous sommes rapidement d’accord pour essayer de prendre le bus qui sera sans doute le moins onéreux. Mais alors que nous sommes à la recherche d’un arrêt, nous sommes accostés par un chauffeur de taxi. Nous lui expliquons notre problème et il nous indique alors son tarif : soixante laris pour l’ensemble du groupe ce qui représente un peu plus de deux euros par personne. Ce prix est très attractif et le taxi présente en plus l’avantage de pouvoir nous déposer à l’adresse que nous souhaitons. Nous lui indiquons l’adresse d’un « wildstore » (magasin de matériel de randonnée) et nous nous répartissons dans deux taxis. Le trajet dure une bonne demi-heure et se passe sans encombre, mais je me rends rapidement compte à l’arrivée que quelque chose cloche. Une partie d’entre nous, celle qui était dans le premier taxi, est déjà arrivée et parlemente hostilement avec le chauffeur. J’entends Fred s’indigner :

- Are you joking ?

J’entre dans les conversations et je comprends qu’il y a un désaccord sur le prix. Les taxis nous indiquent que leur commission nous revient à soixante laris par personne et non pour tout le groupe. Cela fait monter la note à plus de dix-sept euros par personne ce qui n’est pas du tout la même affaire. La blague a du mal à passer car plusieurs d’entre nous sont certains d’avoir fait répéter les taxis sur les tarifs avant notre départ pour éviter justement ce genre de désaccord. Le visage des chauffeurs est à présent glacial. Ils nous indiquent que notre prix est si dérisoire qu’il ne présente aucun intérêt pour eux et ils font même mention de la police dans leurs échanges pour régler le problème. Nous ne nous débinons pas ! Enfin presque pas… Après une bonne dizaine de minutes de négociations, nous finissons par tomber d’accord. Nous paierons soixante laris par taxis. Cela reste un très bon prix pour nous et cela semble leur convenir. Nous ne saurons jamais s’ils étaient de bonne foi ou s’ils ont essayé de nous extorquer plus d’argent quand ils ont pris conscience de nos dégaines de touristes même si nous penchons pour la deuxième hypothèse.

Une fois remis de nos émotions, nous remarquons qu’aucun wildstore ne semble exister dans le quartier où nous nous trouvons. Pourtant les taxis semblent avoir respecté l’adresse que nous leur avons donnée. Heureusement, nous avions repéré plusieurs magasins dans la ville et nous rebondissons assez facilement face à cet imprévu. Nous décidons d’y aller à pied pour éviter une nouvelle déconvenue et nous y voyons là une sorte d’échauffement aux kilomètres de marche qui nous attendent. Nous sommes bien aidés par le téléphone de Fred qui a téléchargé la carte de la ville afin qu’elle puisse être consulté même sans connexion wi-fi.

Nous déambulons ainsi dans la ville pendant quelques kilomètres et nous nous imprégnons de son atmosphère. La capitale est très dense, les immeubles se suivent sans laisser beaucoup d’espace entre eux et la circulation est rapide. Nous constatons d’ailleurs que les routes ne sont pas beaucoup pensées pour les citoyens puisqu’il y a vraiment très peu de passages piétons. Alors, nous nous retrouvons coincés dans notre progression plusieurs fois car les véhicules refusent de nous laisser passer. Nous finissons par forcer le passage en courant de l’autre côté de la route non sans éviter les klaxons des automobilistes mécontents. Il existe bien quelques passages souterrains permettant de changer de côté sans perturber les flux de circulations mais ceux-ci sont bien trop rares.

Après avoir demandé notre chemin au réceptionniste d’un hôtel assez guindé, la faim se fait ressentir pour plusieurs d’entre nous. Nous sommes tout proches d’une échoppe proposant des bonbonnes de gaz mais celle-ci n’est pas encore ouverte. Nous décidons d’entrer dans un restaurant à quelques lieux pour patienter. L’endroit est quasiment vide et nous prenons place autour d’une grande table avec vue sur la route. Nous consultons les menus et notre curiosité est piquée par la variété des plats géorgiens : Breakfast, pizzas, tourtes,… Chacun commande ce qui lui donne envie, j’opte personnellement pour une tourte au fromage. Là encore, les prix sont ridiculement faibles alors Guillaume et Fred se risquent même à prendre deux tourtes. Puis vient le moment des boissons alors je lance :

-Une nouvelle tournée de bières ?


Cette nouvelle proposition fait rire mes compagnons qui déclinent poliment. Je me range de leur côté et commande juste un jus de fruits. Guillaume et Laurent se risquent à goûter le vin local. Mon beau-frère s’est un peu renseigné sur la Géorgie avant notre voyage et il semblerait qu’ils produisent de très bons vins rouges. Le moment est encore très sympathique, il est à peine neuf heures du matin et nous venons de commander un véritable dîner. Nous remarquons que notre décalage surprend notre serveur qui est choqué par la quantité de plats commandés et nous nous amusons de la situation. Laurent et Philippe grimacent devant leur breakfast à l’anglaise qu’ils jugent trop fades et qu’ils ne terminent pas. Ludo est moi-même venons à bout de nos tourtes respectives. Fred parvient difficilement à terminer ses deux tourtes alors que Guillaume bute sur la deuxième. Il nous appelle au secours pour la terminer mais nos estomacs sont tous repus. Finalement, il décide d’emporter la tourte à la viande qu’il consommera pendant le trek.

Nous voilà de retour en ville, prêts à enfin nous procurer des bonbonnes de gaz. Le wildstore dans lequel nous pénétrons est exigu et les équipements sont serrés sur de petits étals. Néanmoins, la boutique vend bien des bonbonnes de gaz. Malheureusement, celles-ci sont beaucoup trop grosses au regard de nos besoins pour la semaine et risquent de nous charger en poids inutilement. Après un court moment de réflexion, nous décidons de tenter notre chance dans un autre wildstore que nous espérons plus grand et avec une offre de produits plus importante. Nous allons perdre encore plusieurs minutes mais nous estimons que le jeu en vaut la chandelle.

Le deuxième wildstore est le bon ! Enfin presque… Les bonbonnes qu’il propose sont toujours plus grosses que celles que nous souhaitons mais elles sont tout de même moins volumineuses que celles du premier wildstore. Nous décidons de partager les bonbonnes en considérant une bonbonne pour deux personnes. Ayant un des sacs les plus légers, j’accepte de porter une des trois bonbonnes non sans rencontrer quelques difficultés pour trouver de la place dans mon paquetage.

Le prérequis de la bonbonne de gaz étant à présent accompli, nous pouvons enfin quitter la capitale géorgienne ! Il est approximativement onze heures. Selon nos prévisions, nous devrions déjà être dans un véhicule vers Kobi Church, le point de départ de notre trek. Nous avons pris un peu de retard, mais nous restons encore dans les temps pour accomplir la première étape aujourd’hui.

Le second wildstore se trouve dans un immense centre commercial au centre de la ville. Là encore, nos tenues et nos sacs imposants attirent les regards mais nous commençons à ne plus y prêter attention. Nous devons maintenant nous rendre à la périphérie de la ville où se trouvent des transports pour se rendre au point de départ. Pour cela, nous avons encore recourt à des taxis malgré notre première mauvaise expérience. Nous ne voulons plus perdre de temps. Nous nous assurons d’être sur la même longueur d’onde que les chauffeurs qui doivent nous trouver étrangement suspicieux avant de nous répartir à nouveau entre deux taxis. Je me retrouve avec Guillaume et Philippe et le trajet se passe sans encombre.

Nous arrivons sur une sorte de place remplies de quatre roues : navettes, espaces, utilitaires, minibus,… Cette fois-ci, nous sommes certains d’avoir été déposés au bon endroit. Alors que nous cherchons Laurent, Fred et Ludo, nous sommes accostés par des chauffeurs qui nous indiquent qu’ils peuvent nous déposer où nous le souhaitons. Nous interrompons alors nos recherches et nous commençons à négocier. Plusieurs véhicules nous expliquent qu’ils ont suffisamment de place dans leur véhicule pour nous prendre tous les six, ce qui nous permettrait d’économiser de l’argent. D’autres taxis se joignent à notre cercle qui s’agrandit. Certains ne parlent même pas anglais mais nous parvenons à nous comprendre.

Après plusieurs minutes de tractation, nous nous rendons compte que nous nous sommes détournés de notre objectif initial : retrouver nos trois autres compagnons. Nous finissons par indiquer au chauffeur le plus compétitif que nous sommes prêts à profiter de ses services mais que nous devons retrouver nos amis pour cela. Et comme les tarifs des communications téléphoniques en Géorgie sont très élevés, nous n’avons pas d’autre choix que de les trouver physiquement. Je laisse mon sac aux autres et je pars en éclaireur. J’explore plusieurs allées et je finis par tomber sur Laurent.

- Qu’est-ce que vous fabriquez ? On vous attend depuis une dizaine de minutes !

- On vous cherche, on est là depuis un quart d’heure !

- Mais vous êtes où depuis tout ce temps ?!

Il m’apprend alors que l’endroit où nous avons été déposés n’est pas tout à fait le lieu de rendez-vous que nous devions rejoindre. Je veux tout de même l’informer que nous n’avons pas chômé :

-On a trouvé un chauffeur qui peut tous nous prendre pour quarante laris !

-On en a trouvé un à trente-cinq laris mais il faut qu’on se dépêche si on ne veut pas passer à côté ! Ramenez vos fesses !

Cinq laris soit un euro et soixante-cinq centimes. Voilà qui est suffisant pour trahir mes promesses envers les chauffeurs géorgiens. Je retourne donc la tête basse vers Philippe et Guillaume et leur indique le nouveau plan de Laurent. Je réponds très furtivement aux questions du chauffeur initial en évitant soigneusement son regard. Il ne comprend pas notre retournement de veste brutal. Je devine alors que j’ai perdu sa confiance pour toujours. Un taxi de plus qui va maudire les touristes français.

Nous nous arrêtons à une épicerie prendre quelques bouteilles d’eau pour la route puis nous rejoignons le nouveau chauffeur de taxi. Avec ses lunettes de soleil sportives et son gabarit imposant, il a des airs de cow-boy géorgien. Je comprends que les autres ont déjà fait le point avec lui sur la destination et nous embarquons très rapidement dans son espace. Bien calé sur notre point de chute, Ludo prend place à l’avant à côté du chauffeur. Il y a deux rangs de trois places à l’arrière. Fred et Guillaume décident de la répartition dans le véhicule :

-Les jeunes à l’arrière !

Emplis de respect pour nos aînés que nous espérons voir aller le plus possible dans ce trek, nous nous entassons avec Philippe et Laurent dans le fond. Je me retrouve entre mes deux compères, ce qui doit être une des places les moins confortables du véhicule. Néanmoins, je suis rapidement rattrapé par mes heures de sommeil manquantes et je m’assoupis.




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