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Jour 3 : Fin de l’entraînement

-Vous y êtes presque !

Je marque un temps d’arrêt et je remarque Philippe qui nous fait de grands gestes au sommet. Je me retourne pour découvrir Laurent et Guillaume légèrement en contrebas. Ludo est toujours empêtré sur le côté. Cette fois, le chemin qu’il a emprunté lui aura fait perdre du temps et de l’énergie à en croire son visage marqué sous son bandeau bleu. Fred est introuvable, probablement masqué par le relief en vague de la montagne devant moi. Je serre les dents, décidé à rejoindre Philippe pour laisser derrière moi cette interminable montée, mais surtout ce début de journée catastrophique.


Rien ne s’est passé comme prévu. En premier lieu, j’ai répandu mon café au milieu des herbes en percutant mon gobelet lors d’un déplacement maladroit. Puis, dénué d’organisation, j’ai multiplié les allers-retours au lac pour faire ma vaisselle, réaliser une toilette sommaire et remplir mon camelbak. Enfin, j’ai découvert avec horreur que ma paire de chaussettes de rechange était agrémentée d’une compeed usagée, vestige d’une randonnée passée. Accrochée au vêtement comme une moule à un rocher, je n’ai pu l’ôter qu’en déchirant le tissu, rendant la chaussette inutilisable. Heureusement, mes orteils peuvent remercier la générosité de Fred qui a été plus prévoyant que moi sur le nombre de paires de chaussettes à emmener. Ces détails couplés à la fatigue de plus en plus présente auront installé en moi une frustration naissante, me rendant grincheux à l’entame de la première ascension de la journée.

Ce n’est qu’une fois en haut, aux côtés de Philippe et Fred et devant un nouveau point de vue fabuleux sur notre lac que j’ai le recul nécessaire pour balayer de mon esprit ces soucis mineurs. Tout va bien. D’ailleurs, je ne sens quasiment plus la morsure du premier jour.

Quand les autres arrivent à leur tour, nous profitons d’une pause tous ensemble. Mais comme souvent aux pointes des dénivelés, les bourrasques de vent viennent refroidir nos corps immobiles, nous empêchant de savourer pleinement ce répit. Je suis heureux de dépanner Fred d’une compeed – neuve cette fois-ci – me sentant redevable par rapport à la paire de chaussettes empruntée. Les ampoules, véritable calvaire pendant notre premier trek en Ecosse, demeurent pour moi un fléau à ne pas sous-estimer. Cela justifie mon stock faramineux de compeed, conséquence de ce traumatisme de douleurs.


De l’autre côté de la montagne, nous ne discernons pas de lac et pourtant, il y en a bien un qui nous attend au bout de la descente. Là encore, les amoncellements de reliefs qui nous font face, empêchent notre vision d’être trop étendue. Il est encore tôt dans la journée et le plus dur est derrière nous. L'objectif est clair : s’arrêter pour la pause-midi devant la nouvelle étendue d’eau.

La perspective de la pente descendante me donne des ailes et je pars sur un rythme effréné. Je suis suivi dans mon élan par Philippe et nous progressons rapidement à deux, nous prodiguant tour à tour des conseils sur le meilleur chemin à emprunter pour avancer.

A mesure que la distance défile, le terrain se transforme sensiblement. La proportion de granites et de sédiments faiblit pour laisser place à des plantes sauvages, des bruyères et des lichens envahissants. Ces nouveaux chemins terreux suivent l’angle des pentes que nous traversons et ne manquent pas de mettre à l’épreuve notre équilibre. Malgré plusieurs sauvetages sur le fil, je finis par trébucher. Je glisse sur la pente qui m’éloigne du chemin sur une dizaine de mètres. Plus de peur que de mal et je rassure Philippe :

-Ça va, il n’y a que ma main qui est éraflée.

-OK, tant mieux ! Pas de dégât sur ton sac ?

-Je ne crois pas, je vais traiter ma blessure quand même.

-Ça marche, je continue un peu pour voir si ce sentier mène quelque part.

Malgré les éraflures fraîchement dessinées sur ma main, je suis heureux d’inaugurer ma trousse de secours. J’asperge la plaie de désinfectant puis j’applique une compresse avant de cacher le tout derrière un pansement.

Lorsque je suis prêt à repartir, Philippe n’est plus dans mon champ de vision et je ne discerne personne derrière moi. Je décide de repartir sans revenir à la hauteur de Philippe et je marche au croisement de deux pentes de collines. Je rencontre régulièrement des névés que je traverse avec précaution en marchant sur leurs bords. L’absence de Philippe perdure, mais nous finissons par établir un contact sonore grâce à nos sifflements. Nous avançons ainsi à distance pendant plusieurs centaines de mètres, mais ma route finit par être stoppée par une pente raide qui descend sur quatre mètres. Je signale ma détresse à Philippe qui déboule quelques minutes plus tard en bas du mur rocailleux. Il récupère mon sac et je peux ainsi le rejoindre en toute sécurité. Nous reprenons ensuite le chemin ensemble.


La suite de la descente se passe sans encombre mais elle nous paraît interminable. Cela fait trois heures que nous progressons à travers les sédiments des collines et nous n’apercevons toujours pas les eaux du lac. Les autres nous ont rattrapés et nous longeons depuis plusieurs minutes un mince bras d’eau qui nous rassure sur notre itinéraire.

Après avoir difficilement traversé le courant, en devant notamment retirer nos chaussures, nous estimons qu’il est temps de faire une pause. Notre emplacement pour déjeuner est situé au bord d’une étroite étendue d’eau. Motivés par les rayons du soleil qui caressent nos corps meurtris, nous ne passons pas à côté de l’occasion de piquer une tête. Le courant d’eau est glacial mais chacun passe avec succès l’épreuve de la baignade, excepté Ludo qui n’a pas le courage de retirer ses vêtements pour « éviter de perdre du temps » selon ses propos… Laurent nous gratifie même d’une nage crawlée à contre-courant de haute grâce qui ne manquera pas de sublimer le film de Guillaume. Une fois cette pause pleine d’émotion terminée, nous sommes regonflés à bloc et nous reprenons la route sur un rythme soutenu. Il nous faut peu de temps pour quitter enfin le couloir de pierres que nous avons descendu toute la matinée.

Nos pieds foulent les herbages abreuvés par l’eau du lac enfin visible. La vue est dégagée et alors que nous distinguons la suite du périple qui se dessine à l’Est, nous remarquons un fort ancien à quelques kilomètres dans la direction opposée. Le bâtiment attire l’œil de Guillaume :

-Il a l’air canon ce fort.

-C’est vrai qu’il a fière allure au bord du lac, concède Fred.

-Ça vous dirait pas d’aller le visiter ?

-…

-Il a pas l’air très loin en plus.

-Au moins trois kilomètres aller-retour, juge Laurent qui l’immortalise dans son appareil photo.

-On se le fait alors ?

-…

Nous échangeons un regard coupable et nous comprenons que personne n’a le courage pour effectuer le détour demandé par Guillaume. Cette situation nous embarrasse, car Guillaume n’a pas bronché la veille quand nous avons gravi le Sherkota. Heureusement, il se montre très compréhensif et sa bonne humeur est toujours présente quand nous nous engageons sur la dernière partie de l’étape qui n’est pas la plus passionnante.

Bien qu’elle offre des panoramas sublimes composés de prairies verdoyantes au pied de montagnes, elle nous ramène petit à petit vers la civilisation. Le sentier que nous suivons laisse rapidement place à une route de campagne et nous croisons plusieurs pick-up ainsi que des masures sommaires. La population qui vit là semble très pauvre et nous sommes interpelés par des enfants aux fringues usées qui scandent « Mbappé ! Mbappé ! » quand ils comprennent que nous sommes français.


Avec un chemin aussi praticable, nous avalons les kilomètres et les plaines qui nous éblouissent s’insèrent dans nos esprits comme des spots de camping sauvages idéals. Néanmoins, une telle exposition pourrait nous attirer les représailles des locaux qui verraient notre campement d’un mauvais œil. Nos pérégrinations finissent par nous conduire à un camping privé que nous jugeons plus sûr pour la nuit.

L’endroit est très précaire et le lac au pied du Sherkota n’a rien à envier à ce camping artificiel. La différence majeure réside dans les bières qu’il est possible d’acheter à un prix dérisoire. Nous dévalisons le stock en faisant l’acquisition des six dernières canettes et nous improvisons un apéro amplement mérité.

Nous sommes satisfaits d’être parvenus au terme de la première partie du trek dans les temps. Bien que nous ayons rencontré quelques bévues, nous avons su poursuivre sans flancher en composant un groupe uni. Fred et Ludo sont à présent tout à fait intégrés de mon côté et je suis heureux d’avoir fait leur rencontre. Malgré quelques déconvenues dont notamment, des blessures aux bras, des coups de soleil et des problèmes digestifs, Ludo ne s’est jamais plaint, témoignant d’une forte résilience. Concernant Fred, nous avons du mal à croire que c’est son premier trek tant il a survolé ces étapes avec aisance.

Dans deux jours, nous commencerons la seconde partie du trek : l’ascension du Mont Kazbek. Avec un sommet juché à cinq mille quarante-sept mètres, il représente la cinquième plus haute montagne du Caucase et la deuxième de Géorgie. C’est le premier sommet si haut que nous allons gravir et nous l’avons choisi car il est réputé pour sa simplicité relative par rapport à d’autres monts. Après les trois jours passés, j’ai confiance en notre groupe pour atteindre son pic.


Ce moment de détente et de rigolade est malheureusement interrompu par l’irruption d’une lourde averse qui nous pousse dans nos tentes.

Nous dînons chacun de notre côté, recroquevillé dans nos campements respectifs. Avant d’aller me coucher, je visionne les clichés capturés avec mon téléphone. En remontant ainsi chronologiquement, je finis par tomber sur une photo de Naama. L’apparition soudaine de son visage me ramène à la réalité.

Notre dernier contact remonte à Tbilisi. J’espère qu’elle va bien et qu’elle ne s’inquiète pas trop pour moi. Je n’ose imaginer sa réaction quand elle apprendra que j’ai failli abandonner une fesse à une meute de chiens de berger. La perspective de la retrouver rappelle à mon esprit la fête du PACS pour laquelle je suis supposé préparer des textes afin d’égayer la soirée. J’écris alors quelques lignes dans mon carnet jusqu’à ce que la luminosité s’estompe complètement.




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